GRAND PRIX 2014
DU HOT CLUB DE FRANCE
PATRICK ARTÉRO et LE PARIS SWING ORCHESTRA
JOUENT LOUIS ARMSTRONG
Autoproduit
TBB 107 - Autoproduit
Liza, Drumology, Hear me talkin to ya, Jumpin pun- kins, Hampton stomp, Mandy, Carioca, Queer Street, Drummin man, Pyramid, Concerto for Cozy, Dinner with friends, At the jazz band ball, Swingin the blues .
La foule des utilisateurs de batterie se compose, en très large majorité, de musculaires matraqueurs acharnés à cogner comme des sourds sur leur instrument. À leurs côtés figurent des jazzmen qui, eux, jouent de leur ins- trument et parfois même des artistes qui savent en tirer le maximum. Guillaume Nouaux se tient au sommet de cette dernière catégorie. Toujours avec swing il accompagne impeccablement ses partenaires et, à l'occasion, prend sans esbroufe des solos idéalement construits. De surcroît, comme personne il connaît tout de la batterie et des maîtres de l'instrument. Parmi les nombreuses formations auxquelles il participe, figure en bonne place le Tuxedo Big Band de Paul Chéron, qui, lui, sait tout des grands orchestres. De leur complicité naquit l'idée particulièrement excitante d'évoquer les grands drummers de big bands puis de réaliser le projet, ce qui eut lieu les 3 et 4 janvier 2014.
L'album débute par un hommage au légendaire Chick Webb avec Liza mettant la batterie bien en évidence. On admire la puissance, la netteté de l'attaque, la construction des breaks, la stimulation apportée à lorchestre qui sonne superbement en montrant une précision remarquable. Drumology sinspire de Louie Bellson avec l'orchestre Tommy Dorsey : la batterie ne se tient plus au service de ses partenaires mais la situation s'inverse et Guillaume Nouaux dialogue avec l'orchestre avec une virtuosité époustouflante. Incidemment, le livret montre côte à côte les photos de Chick Webb et de Louie Bellson, tous deux derrière leur batterie. Comique la différence de matériel !
L'orchestre Louis Armstrong dirigé par Luis Russell sert ensuite de modèle sur Hear me talkin to ya. Cependant que Jérôme Etcheberry tient le rôle du roi, Guillaume Nouaux fournit un soutien ardent et précis avec breaks, roulements, contretemps insistant, bien dans la lignée Big Sid Catlett. Dans un registre fort différent survient ensuite Jumpin punkins de Duke Ellington. Là, Guillaume ressuscite le jeu discret mais riche en couleurs et en nuances du fameux Sonny Greer. Duke réapparaît plus loin dans Pyramid, occasion d'un salut à Sam Woodyard dans lequel Guillaume restitue le dynamisme, la musicalité, la vigilance du fabuleux modèle. Ainsi défilent les évocations étonnamment fidèles de fameux batteurs, à commencer dans Hampton stomp par un jeu multiforme, foisonnant et fournissant un accompagnement impérieux avec violent after-beat à la Lionel Hampton. Dautres virtuoses reçoivent un hommage convaincant : dans Carioca, Buddy Rich au jeu conjuguant célérité et punch ; dans Drummin man, Gene Krupa à la grande technicité ; dans Concerto for Cozy, Cozy Cole qui swingue de façon impétueuse notamment avec des roulements exceptionnels.
Certains spécialistes négligent les effets du soliste pour se concentrer sur la production d'une pulsation au swing maximal, tel Jimmy Crawford qui se retrouve dans Mandy avec son accentuation unique du contretemps au swing irrésistible, ou encore Ray Bauduc, sur At the jazz band ball, avec un jeu plein d'aisance portant l'empreinte Nouvelle-Orléans. Enfin trois titres rendent visite à Count Basie et se réfèrent à trois spécialistes : Shadow Wilson, efficace avec légèreté dans Queer Street ; Sonny Payne à la vivacité enthousiaste dans Dinner with friends, et bien sûr le seigneur Jo Jones, archétype de l'aisance, la maîtrise, l'invention dans Swingin the blues.
PRIX RÉÉDITION 2014
DU HOT CLUB DE FRANCE
JONAH JONES
MASTERWORKS
Blue Moon - BMCD 845 à 851 et 853
PRIX JAZZ VOCAL 2014 DU HOT CLUB DE FRANCE
NIKKI et JULES
BOJAR Productions
Lets make a better world, Vous faites partie de moi, Baby what you want me to do, Angel kiss, Baby wont you please come home, Mountain blues, À quoi ça sert lamour, Look like twins, Besame mucho, Classified, Embraceable you, Hooties blues, I want to be evil, Bon appétit, La vie en rose .
Voilà une dizaine d'années nous découvrions le jeune Julien Brunetaud jouant le blues au piano de manière extrêmement prometteuse, des promesses qui, par la suite, devaient se trouver généreusement tenues. Plus récemment - La Roquebrou 2012 - Nicolle Rochelle nous révèla un talent de chanteuse (entre autres qualités) éblouissant, agrémenté dune présence exceptionnelle. Astucieusement décidée par le destin, l'association de ces deux artistes ne pouvait que fonctionner brillamment.
Le couple, sous l'appellation Nikki & Jules, utilise un répertoire très varié où le jazz tient une large place... tout comme dans leur premier CD. Nos deux chanteurs se trouvent en compagnie des excellents Bruno Rousselet, contrebasse, Jean-Baptiste Gaudray , guitare, et Julie Saury, batterie. Nicolas Dary au saxo ténor intervient dans quatre plages, cependant que Julien Brunetaud assure les parties de piano, d'orgue et, à l'occasion, de guitare dobro.
L'album s'ouvre sur Lets make a better world porté par une stimulante partie de piano et d'orgue. Julien et Nicolle chantent tour à tour puis ensemble avec une ardeur, une conviction et une fraîcheur irrésistibles, ne s'interrompant que pour laisser le piano se manifester en solo. Cette façon de procéder en chantant lun après lautre, puis en duo se reproduit sur dautres excellentes plages, comme pour montrer un partage de sentiments. Ils se retrouvent dans le fameux blues de Jimmy (et Mama) Reed, Baby what you want me to do, balancé de manière très détendue. Une belle partie de guitare, qui prend aussi un chorus, suivi d'un chorus de dobro, accompagne la partie vocale ardente, parfois fredonnée. Baby wont you please come home débute, comme la version de Bessie Smith, par le couplet hors tempo dit par Nicolle, puis sur tempo lent. Chacun y va de son chorus suppliant, Julien puis Nicolle et, après un chorus orgue-piano, ils reviennent pour un dialogue passionné.
Également sur tempo lent, Look like twins souvre sur un prenant chorus de guitare sur fond d'orgue, puis Julien et Nicolle s'expriment chacun dans un chorus sur un accompagnement de piano chargé d'émotion ; après un chorus de piano, les deux chanteurs échangent en rivalisant de flamme. En hommage à sa bienfaitrice, Joséphine Baker, Nicolle débute hors tempo puis expose Embraceable you en tempo lent. Julien lui succède en reprenant le texte enflammé à son compte avec contre-chant de Nicolas Dary qui prolonge sur un chorus en solo. Nicolle revient chantant en français, Julien survenant à mi-chorus pour donner la réplique en anglais. Hooties blues swingue, allègrement porté par une incisive partie de piano de Julien qui chante plusieurs chorus, Nicolle se contentant de fredonner et de lancer quelques vocalises. En revanche, dans I want to be evil, Nicolle intervient seule, escortée par un piano attentif.
Trois compositions personnelles figurent dans l'album : Angel kiss, pour conserver l'espoir, chanté avec conviction à deux voix ; Mountain blues, pour persister dans l'effort, chanté par Nicolle avec l' efficace soutien d'orgue, dobro et batterie ; Bon appétit, pour l'importance du savoir déguster... avec évocation du cassoulet, le délice mythique des jazzmen d'autrefois.
Nicolle Rochelle interprète également trois morceaux de variété en français. Dans Vous faites partie de moi, autre salut à Joséphine Baker, elle revient, à la fin, au texte anglais de ce titre signé Cole Porter sous l'appellation I've got you under my skin. Dans La vie en rose elle évoque Édith Piaf. Dans À quoi ça sert l'amour, Julien la rejoint pour afficher leur tendre complicité. Ces titres confirment le talent de musicien de Julien Brunetaud et de chanteuse de Nicolle Rochelle à la voix merveilleusement souple, colorée et expressive.
Ce tandem inespéré se révèle fort captivant en disque et l'intérêt croît énormément lorsqu'il se produit en direct. Les médias qui accueillent tellement de groupes consternants seraient bien inspirés d'accorder à Nikki & Jules l'attention qu'ils méritent. (A.V.)
André VASSET (Bulletin du HCF N°631 - Mai 2014 - page 18)
PRIX DOCUMENT INEDIT 2014 DU HOT CLUB DE FRANCE
LIONEL HAMPTON AND HIS ORCHESTRA 1947-1948 -
THATS MY DESIRE
Doctor Jazz DJ 012
1- Red Top, 2- Thats my desire, 3- Hawks nest, 4- Vibe boogie, 5- Muchacho azul (Blue boy), 6- Goldwyn stomp, 7- Loneliness, 8- Hamps got a Duke, 9-Midnight sun, 10- Goldwyn stomp, 11- Mingus fingers, 12- Oh lady be good, 13-Red Top, 14- Chibaba chibaba, 15- Adam blew his hat, 16- Im telling you Sam, 17- Playboy, 18- Always, 19- Dont blame me, 20- How high the moon, 21- Adam blew his hat. Bonus track : 22- Giddy up .
Il était une fois, sur les hauteurs dHollywood, une demeure abandonnée par son ancien et mystérieux propriétaire. En 2013 des travaux de reconstruction mirent au jour un réduit entièrement muré où étaient stockées des boîtes de disques acétate 78 tours comportant des enregistrements de musiques diffusées par la radio. Le lot 150 acétates fut proposé à la vente et acquis par Ben Kragting jr, éditeur de la revue des Pays-Bas Doctor Jazz Magazine, qui y découvrit les faces hamptoniennes ci-dessus et signe à leur propos un copieux livret (en anglais), exemplaire de précision et illustré de photos. Au bout du... conte, nous voici en présence démissions radiophoniques provenant de concerts publics enregistrés à Culver City, Californie, courant novembre 1947 pour la plupart des interprétations, et à Fairmont, Virginie-Occidentale, fin juin 1948 pour les quatre dernières (bonus exclu). Lionel Hampton est à la tête de sa grande formation régulière au personnel présenté comme probable mais les incertitudes sont réduites et globalement identique dans les deux séries. La qualité de restitution est soignée, suite à un méticuleux travail de restauration : certes on na pu éliminer totalement le bruit de surface inhérent au support acétate ni empêcher le son un peu cotonneux de certains ensembles, mais le parasitage nest vraiment gênant que dans How high the moon et, surtout, Giddy up (é « bonus » par antiphrase) dont létat de conservation était précaire. En raison de l'enregistrement ou des transferts successifs, il peut arriver que des interprétations démarrent abruptement, mais une seule, Playboy, reste inachevée.
La consultation de votre discothèque et de vos discographies vous rappellera que la majorité des titres de ces programmes figurent sur des 78 tours Decca gravés à lépoque, parfois avec les mêmes solistes, et réédités par la suite en LP MCA puis CD Classics : dès lors, quel intérêt présentent ces versions radio, certes inédites1 mais faisant parfois double emploi et moins bien reproduites ? Une comparaison avec les faces commerciales répond en partie à la question. Hors du studio, le vibraphoniste peut sadonner au plaisir dallonger ses propres interventions précédant les exposés orchestraux : Hawks nest débute ainsi par quatre chorus (étrangement sur les harmonies du blues) au lieu de deux, Giddy up par six chorus de blues au lieu de deux, et le double Goldwyn stomp (6 et 10) se trouve désormais introduit par trois chorus étincelants de 32 mesures. Du reste, dune façon générale, les faces radio ont une durée plus longue : les deux versions de Red Top (1 et 13) diffèrent de celle du commerce par deux (1) ou trois (13) chorus de ténor (par John Sparrow, robuste) au lieu dun seul, et de six chorus de clarinette (par Jack Kelso, véhément, mais crispant dans laigu) au lieu de deux ; dans Muchacho azul, Lionel Hampton et le ténor Morris Lane jouent chacun un chorus entier au lieu de se partager le même chorus ; pour Adam blew his hat, 24 mesures dintroduction sont ajoutées, dues à Milt Buckner (15) ou à Lionel Hampton (21). Il arrive même que le déroulement dune interprétation subisse des modifications : Playboy (de surcroît étendu à plus de 5 min) est totalement rénové et les trois chorus dHow high the moon sont distincts des deux prises Decca par un tempo moins modéré et un arrangement piano-vibraphone limité au dernier chorus2.
Le second motif dintérêt pour ces documents tient à la nature de leurs sources : lorchestre ne se produit nullement lors de concerts, mais lors de bals et le Meadowbrooks Gardens de Culver City faisait partie de ces immenses salles où se pressaient les danseurs. Lionel Hampton, artiste doublé dhomme de scène auquel la proximité du public était indispensable, est donc ici dans son élément, sélectionnant les titres propres à satisfaire une foule fervente, à lenthousiasme dailleurs perceptible.
De là cette fréquence de thèmes en tempo vif aux arrangements toniques (Goldwyn stomp de Milt Buckner), allègres et bondissants (Playboy de Billy Mackel), survoltés (Hawks nest de Milt Buckner), aux finales en crescendo (Muchacho azul de Bill Doggett, Adam blew his hat de la pianiste Dardanelle Breckenridge), aux multitudes de riffs entre- croisés (Red Top, Vibe boogie, Muchacho azul) ; on assiste même à un déchaînement de furie tout au long dun explosif Lady be good. Car Hampton savait sentourer de musiciens véloces et puissants, comme les trompettes Teddy Buckner (fougueux dans Lady be good), Leo Shepherd (audacieux dans le suraigu en clôture dAdam blew his hat), Duke Garrette (expert en sourdine wa-wa à la fin de Hamps got a Duke), mais il privilégiait les saxos ténor de la lignée Jacquet-Cobb tels que John Sparrow (rugueux dans Adam blew his hat, Playboy et les deux versions de Red Top), Morris Lane (puncheur dans Hawks nest et Muchacho azul), agiles tous les deux dans les chorus en 4/4 échevelés de Lady be good avant un chorus forcené à lunisson. Le choix des rythmiciens est tout aussi significatif, regroupant, autour de la batterie dEarl Walker (adepte du contretemps sans fioritures), la basse du jeune Charlie Mingus (percutant dans Mingus fingers), le piano insistant de Milt Buckner, les guitares de Wes Montgomery (18 à 21) et surtout de Billy Mackel, dont laccompagnement en accords (Goldwyn stomp) ou par petits riffs (Giddy up) est dune merveilleuse efficacité. Reste le chef, omniprésent, exubérant, grommelant, catalysant son orchestre, dialoguant avec les ensembles (Goldwyn stomp), inventant à linfini (les dix chorus de Vibe boogie) ou calmant le jeu le temps dun How high the moon détendu, dun délicat Midnight sun (sur le bel arrangement de Sonny Burke) et dun Thats my desire remarquable par ses variations en double-time ponctuées de breaks.
Parmi ce programme vivifiant annonciateur de louragan qui devait atteindre lEurope quelques années plus tard , on ne sattardera pas sur des titres comme Chibaba chi- baba chanté par les Hamptones et dont le sous-titre My bambino, go to sleep affiche la niaiserie, ou comme lexotique Loneliness (il se pourrait bien quHampton y double le batteur par des roulements serrés sur le tom), ou comme Dont blame me roucoulé par Herman McCoy.
Aurait-on pensé pouvoir accéder en 2014 à des inédits dHampton de près de soixante-dix ans ? Une résurrection due à Doctor Jazz le bien nommé. (J.C.)
1- Seul le second Adam blew his hat (titre 21) était paru sur LP et CD
2- Autre indice de cette liberté, la variation des tempos dun concert à lautre : celui de Goldwyn stomp, moins rapide en 6 (version supérieure) quen 10, ce qui modifie sensiblement la durée (4 min 51 / 3 min 51), celui de Red Top beaucoup plus souple et, partant, plus swingant en 13 quen 1 (4 min 31 / 3 min 49).
Jacques CANÉROT (Bulletin du HCF N°634 - Octobre 2014 - page 18)
Pas de notule pour ce prix
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Laurent, Bathilde, Big boss, Rosemay, Nandy, La zouzougne, Blues en Guy Demole, La fille, New J.B., Krazoubic, Kouka libre, Reeds, Drums fantasy, Medley : I'll be proud of you, you'll be proud of me / Sweet Louisiana. .
Ce disque a été gravé le 25 mai 2011. en septet. avec des musiciens dont les noms nous sont familiers : outre Olivier Franc (saxo soprano et leader) Gilles Berthenet est à la trompette, Benoît de Flamesnil au trombone, Robert Veen au baryton la rythmique est emmenée par Jean-Baptiste Franc au piano, avec Gilles Chevaucherie à la basse et François Laudet à la batterie.
Olivier Franc s'est attelé à la lourde tâche de réaliser un album constitué uniquement, ou presque, de thèmes originaux de sa composition, hormis New J.B. signé par son fils Jean-Baptiste, et le dernier morceau réunissant deux inédits de Sidney Bechet.
D'entrée, ce qui frappe. c'est la grande homogénéité tant dans l'inspiration que dans l'écriture des thèmes, la plupart fort mélodiques. Les arrangements. de tout premier ordre, ont été écrits par le musicien hollandais Robert Veen qui tient par ailleurs le saxo baryton. Comme l'indique le titre du recueil, Olivier Franc a souhaité recréer l'ambiance des petites formations du Duke tout en y ajoutant la touche et la sensibilité Bechet.
Parmi les interprétations qui me paraissent les plus réussies, je citerai Laurent. Big boss, Rosemay, Blues en Guy Demole, La fille et le medley final l'II be proud of you... / Sweet Louisiana. Le morceau intitulé Laurent est une jolie composition, prise en tempo médium. qui bénéficie d'une belle collective avec de bons solos du pianiste et du bassiste. Bathilde est un thème bluesy au cours duquel le soprano inspiré et lyrique d'Olivier Franc intervient deux fois en solo. Big boss un des meilleurs titres. pris sur un tempo enlevé, est transcendé par un solo plein de flamme du pianiste Jean-Baptiste Franc, et tant les riffs que le phrasé staccato nous rappellent furieusement Christopher Columbus. Rosemay, La fille, Krazoubic et Reeds, sur lesquels plane l'esprit de Sidney Bechet, privilégient avant tout la richesse de la mélodie. Blues en Guy Demole, au titre facétieux, pris en up-tempo, est porté par un after-beat marqué de François Laudet, tandis que le pianiste prend un réjouissant solo et que la collective. au swing appuyé. termine tout en puissance. Drums fantasy est destiné à mettre en valeur le remarquable drumming de François Laudet, seul soliste, dont les interventions sont ponctuées de généreux riffs d'ensemble.
Olivier Franc rend un vibrant hommage à Sidney Bechet dans un medley qui marie deux compositions du maître.inédites jusque-là, I'll be proud of you... / Louisiana, traitées sous la forme d'un concerto pour saxo soprano et orchestre. Soutenu par d'harmonieux organ chords, Olivier Franc y donne le meilleur de lui-même. Le bon trompettiste Gilles Berthenet se fait apprécier tout particulièrement sur Bathilde, La zouzougne et La fille; quant à Benoît de Flamesnil. qui ne lui cède en rien, il est à son avantage dans Big boss, La fille et Krazoubic.
Saluons la prestation d'Olivier Franc, excellent de bout en bout, mais aussi celle de Jean-Baptiste Franc, pour ses remarquables qualités tant à l'accompagnement qu'en solo.
Un disque que l'on ne peut que recommander. (C.S.)
Christian Sabouret (Bulletin du HCF N°609 - Mars 2012, page15)
PINETOP PERKINS
HEAVEN'
BLIND PIG ref.BPCD 5145
44 blues, 4 o'clock in the morning, Relaxin', Sitting on top of the world, Just keep on drinking, Since I fell for you, Pinetop's boogie woogie, Ida B, Sweet home Chicago, Pinetop's blues, Willow weep for me, That's all right.
Le 21 mars 2011, le pianiste et chanteur de blues Joe Willie Pinetop Perkins nous quittait ; il allait avoir quatre-vingt-dix-huit ans et. malgré son âge, il était encore on the road peu de temps avant son décès. Avec lui disparaissait l'une des figures légendaires du blues du Delta. Sa notoriété, bien que tardive, lui avait valu l'obtention de plusieurs Grammy Awards dans la catégorie Bluesmen. Toutefois, si l'on se penche sur le déroulement de sa carrière, on ne peut que constater qu'il resta longtemps dans l'ombre de bluesmen reconnus, notamment en tant que sideman auprès de Muddy Waters et de bien d'autres. C'est donc aussi bien pour honorer sa mémoire que revaloriser son image que le label californien Blind Pig vient de publier des faces restées jusqu'à présent inédites. Elles furent gravées à New York le 24 novembre 1986. Dans la plupart d'entre elles, Pinetop Perkins joue en solo, sauf sur Just keep on drinking, Since I fell for you, Ida B et That's all right où il est accompagné par le bassiste Brad Vickers et le batteur Pete DeCoste. Par sa façon très prenante de chanter, Pinetop Perkins nous immerge dans le blues le plus authentique et, même s'il n'est pas un des plus grands chanteurs de blues, sa voix voilée, teintée de raucité. touche au plus près les racines du blues et ne peut que séduire l'auditeur dans 4 o'clock in the morning, Relaxin', Ida B ou encore Pinetop's blues. Quant à Sitting on top of the blues, c'est son vieux compagnon de route, le batteur Willie Big Eyes Smith. qui le chante avec un joli feeling ; il s'agit d'un blues lent où Pinetop Perkins déroule au piano des phrases bien senties et parsemées de notes bleues. Les faces en trio swinguent allègrement, en particulier Just keep on drinking et Since I fell for you, le succès de Buddy Johnson, ce dernier thème chanté avec conviction par Otis Clay. Pinetop Perkins roule de belles basses et chante avec punch le fameux Pinetop's boogie woogie qu'il affectionnait tout particulièrement et qui lui valut son surnom de Pinetop (de là parfois une certaine confusion quant à l'auteur du morceau qui, en fait, est Clarence `Pinetop' Smith). Atmosphère très groovy sur Ida B où le vocal de Perkins est bien souligné par l'harmoniciste Mike Markowitz et le guitariste Tony O. Sweet home Chicago est de bonne facture et son rolling piano remarquable sur Pinetop's blues. Ne disait-il pas : J'ai pour habitude de rouler les basses comme le tonnerre? La version de Willow weep for me est tout à fait surprenante : Pinetop Perkins interprète le thème staccato, tout en martelant les basses. et transforme cette jolie ballade en un blues parfaitement maîtrisé et fort réussi. Un disque de blues de grande cuvée, millésime 1986. À ne rater sous aucun n rétexte. (C.S.)
Christian Sabouret (Bulletin du HCF N°612 - Juin/juillet 2012, page 18)
BLUES DE PARIS
MOVE IT !
Autoproduit - Le Baron 75003/1
Broken wrist, Cavalaire stomp, Barrelhouse blues, Sliding boogie, Rainy day boogie, You gotta move, Big mama's running, Slow train, Just because, In-go stomp, Workin' man boogie, Cocotte boogie, Blues oh blues, Rumba boogie.
Lorsque François Fournet, talentueux guitariste passionné de blues, rencontra Christian Ponard, autre guitariste présentant les mêmes symptômes, ils se retrouvèrent, embusqués derrière leur guitare, pour se livrer aux joies du duo fraternel. L'exercice se révéla si convaincant que, pour en renforcer l'efficacité, les deux complices accueillirent un autre duo, rythmique cette fois, bassiste et `drummer'. Ainsi naquit, en 2005, Blues de Paris dont le premier album, enregistré peu après, se révéla une bonne réussite signalée par une chronique du Bulletin 560. Vient de paraître le second album du groupe, datant de décembre 2011, qui se révèle plus remarquable encore. Même si les références à certains maîtres ès blues demeurent, la part de thèmes signés François Fournet devient importante dans ce nouveau recueil qui présente une réjouissante variété. Il débute avec Broken wrist, conjurant la catastrophe accidentelle qui, l'an dernier, brisa les deux poignets du chef. La musique nous rassure immédiatement, les deux mains fonctionnent à merveille et la guitare développe calmement son discours passionnant avec une sérénité et une décontraction totales en s'appuyant sur l'impitoyable pulsation de la contrebasse d'Enzo Mucci et de la batterie de Simon Boyer. Sur un tempo semi-lent voisin, Slow train sonne tout aussi superbement, mais dans un climat complètement différent. Plusieurs titres, tous dus à François Fournet, se déroulent de manière emballante sur un tempo plus ou moins vif, à commencer par Cavalaire stomp où la guitare enchaîne les phrases élégantes et les rifs impérieux balancés avec un swing irrésistible. De même, Rainy day boogie swingue furieusement, propulsé par la batterie et surtout la contrebasse avec une impulsion extraordinaire. La guitare se montre particulièrement mobile, captivante et insistante dans Workin' man blues, avec batterie bien en évidence : laconique et terriblement efficace dans Big mama's running, toujours avec rythmique euphorique ; exubérante dans Cocotte boogie ; éloquente dans Rumba boogie où les chorus s'alignent avec aisance et brio. Christian Ponard se trouve en vedette sur Sliding boogie dans lequel, avec enthousiasme, il chante en scat et utilise le slide comme le titre l'indique. Dans You gotta move, il interprète avec émotion ce blues en tempo lent de Fred McDowell d'un ton accablé, résigné. Trois plages sont chantées brillamment par Gabi Schneider, qui possède une voix fort expressive, au parfait timing et d'une décontraction confortable. Elle salue Ma Rainey dans Barrelhouse blues au feeling rayonnant et aussi dans Blues oh blues (seul titre enregistré antérieurement) à l'accent nostalgique. Dans un registre différent, Just because, au ton enjoué, swingue plaisamment, toujours avec l'assistance attentive d'un entourage rebondissant. En deux mots : superbe album ! (A. V.)
André Vasset (Bulletin du HCF N°612 - Juin/juillet 2012, page16)
Pas de notule pour ce prix
Send for me, Blues from hell, Good old days, Rats in my kitchen, Thang shaker, Inflation blues, Miss Celie’s blues, Come home, Reggae woman, Rock with you, Route 66, Outside lookin’ in.
L’histoire de ce disque reste vraiment ahurissante. Dans le livret, Roy Gaines raconte comment il s’est ruiné afin de réaliser le projet qui lui tenait à coeur : réunir autour de lui un grand orchestre afin d’enregistrer un album de blues. Roy Gaines saisit l’occasion pour redire sa gratitude envers Hugues Panassié qui le fit connaître en France lorsque parut le LP Amadeo-Vanguard If This Ain’t the Blues de Jimmy Rushing, artiste qui semble l’avoir fortement marqué. La chronique de l’édition américaine de ce fameux album se trouve dans le Bulletin 81, puis un article relatif à son jeune et talentueux guitariste suivit dans le Bulletin 84. La sortie en France du LP étoffa fortement les commentaires du Bulletin 90, enfin le numéro suivant annonçait le couronnement de l’album par le Grand Prix du hcf 1959.
En décembre 2008, Roy Gaines a donc réuni un contingent de musiciens californiens lui permettant d’assembler une grande formation. Ainsi entouré, il retrouve les excitantes possibilités qui s’offraient jadis à un artiste tel Jimmy Rushing, des conditions disparues aujourd’hui mais qu’il avait connues à ses débuts. Les arrangements, exécutés avec précision, sonnent très proprement, la rythmique fournit une pulsation convenable et, hormis la guitare du chef, peu de solistes interviennent, ce qui paraît fort prudent. Cet entourage permet à Roy Gaines de développer son jeu de guitare resté superbement attrayant et son vocal toujours expressif. L’album s’ouvre sur Send for me, un succès de King Cole, exposé par l’orchestre avec commentaires de guitare en marge. Roy, puissant et persuasif, chante trois chorus, le premier avec contre-chant de piano, les deux suivants ponctués par sa guitare ; suivent un chorus d’ensemble, un chorus de guitare aux inflexions prenantes et, pour conclure, deux chorus chantés et toujours ornés d’une vibrante partie de guitare. Toutes les plages, d’une durée de 5 à 6 minutes, avec une bonne ration de blues, présentent une routine à peu près semblable, excepté Rock with you, seul instrumental du lot, qui offre un intérêt fort mince.
Blues from hell et les trois titres suivants, tous excellents, portent la signature de Roy Gaines. Son vocal péremptoire et ses deux chorus de guitare mobiles et sinueux dans Blues from hell se déroulent en tempo semi-lent sur un confortable fond orchestral. Good old days, blues en tempo moyen, est longuement chanté de façon vigoureusement enlevée ; là, Roy n’utilise sa guitare que pour un chorus, le même espace est réservé au pianiste Art Hillary et à un des trompettes, George Pandis. Au contraire, Roy Gaines utilise longuement sa guitare dans le blues Rats in my kitchen, également en tempo moyen, où elle fournit une réplique vive et variée au vocal, puis brille dans trois chorus superbement swingués. De même, dans le truculent Thang shaker, la guitare reste très présente à l’accompagnement et dans un solo plein d’imprévu.
La plage suivante propose une bonne version du fameux blues de Louis Jordan, Inflation blues, redevenu d’actualité brûlante, où, dès le début, le chanteur proteste : Now listen Mr. President all your congressmen too. You’ve got me all prostrated and I don’t know what to do… La guitare reste assez discrète dans ses répliques au vocal mais brille dans son chorus. Elle semble absente de Miss Celie’s blues, chanson du film The Color Purple auquel participa Roy Gaines, et, sans doute pour recréer son atmosphère, l’interprétation comporte un passage façon dixieland. Dans Reggae woman, version personnelle du Calypso blues de King Cole, la guitare percutante et le vocal swinguent de façon enthousiasmante, soutenus par des riffs stimulants. Roy chante avec vigueur Route 66 sur un bon accompagnement orchestral, et sa guitare apparaît dans deux chorus ; piano, saxo alto, saxo ténor interviennent également en solo. Deux autres titres dus à Roy Gaines, Come home, dans le genre sentimental, et Outside lookin’ in offrent un intérêt moindre.
Voilà un excellent album dû à l’acharnement d’un talentueux guitariste et chanteur heureux de se replonger quelque peu dans l’atmosphère exaltante qui s’offrait aux jazzmen à l’époque de la splendeur de Count Basie.
André Vasset (Bulletin du HCF N°607 - Janvier 2012)
Dickie’s dream, Blue Michel, Taxi war dance, Oh !lady be good, Swingin’ the blues, One o’clock jump, A ghost of a chance, I never knew, Tickle toe, Lester leaps in, Rock a bye Basie, Jumpin’ at the Woodside.
Sous la supervision de Dominique Burucoa, le label Jazz aux Remparts a pris l’heureuse initiative d’enregistrer le grand orchestre de Michel Pastre lors de sa venue à Bayonne en novembre 2009. Ce sont les faces gravées alors qui viennent tout juste d’être publiées.
On a encore en mémoire le premier opus de l’orchestre gravé en 2001, Diggin’ the Count, de la belle ouvrage. Le même esprit a présidé à la réalisation de ce disque qui est un hommage à Count Basie mais aussi à Lester Young. Les arrangements léchés et swingants sont dus à la talentueuse plume de François Biensan ; quant à la musique, elle est portée par des solistes de premier plan. À commencer par le chef, le saxophoniste ténor Michel Pastre, auquel la rondeur de la sonorité et la richesse du jeu confèrent un indéniable statut de grand du saxophone : Blue Michel, Oh!lady be good, One o’clock jump, Rock a bye Basie, ainsi que son concerto pour saxophone ténor et orchestre sur le pulpeux A ghost of a chance. Le pianiste Pierre Christophe assure un soutien sans faille à l’accompagnement et ses solos sont fort joliment tournés, comme dans Dickie’s dream, One o’clock jump et I never knew. Quant au trombone Patrick Bacqueville, on ne peut que louer sa grande technique, toujours au service de la mélodie, ainsi que son sens de l’improvisation : Taxi war dance où il joue bouché, Oh ! lady be good, Swingin’ the blues et One o’clock jump. Le trompettiste François Biensan est tout aussi remarquable, particulièrement en valeur sur Rock a bye Basie, Jumpin’ at the Woodside, très incisif sur Swingin’ the blues, saignant sur One o’clock jump. Bien que non cités, les autres solistes ne déméritent pas. Mention spéciale pour la prestation du bassiste Raphaël Dever qui apporte une solide assise à l’orchestre, mais aussi au batteur François Laudet, au jeu précis, au tempo robuste, qui tient avec fermeté la « baraque » : Swingin’ the blues, Taxi war dance, One o’clock jump, avec un impeccable solo sur I never knew. Le concernant, j’aurais toutefois une réserve à faire, car à mon goût, et d’une façon générale, la batterie a été enregistrée un peu trop en retrait.
Ce disque présente une grande homogénéité dans le choix des thèmes proposés, tous de bonne facture : difficile donc de choisir entre tel ou tel. Pour n’évoquer que les titres les plus marquants, notons Taxi war dance pour les interventions musclées de Michel Pastre entrecoupées de riffs orchestraux bien sentis, ainsi que pour le drumming appuyé de François Laudet ; I never knew, remarquable par le tutti de la section des saxophones, et Tickle toe, une des plus belles compositions de Lester Young, où l’orchestre insuffle au thème un drive à la fois souple et puissant. Et, bien sûr, A ghost of a chance, pour la maestria de l’interprétation de Michel Pastre.
Vous l’aurez compris, c’est un disque qui se doit de figurer dans toute bonne discothèque.
Christian Sabouret (Bulletin du HCF N°604 - Octobre 2011)
Viper’s drag, In the wee small hours of the morning, Liza, Mule walk, Anitra’s dance, Blues for Alfie, Handful of keys, Roberto Clemente, Shout for joy, Everything happens to me, Bach up to me, St. Louis blues, Champs-Élysées, I ain’t got nobody, Nothin’, Echoes of spring, Truckin’, Hallelujah, Harlem strut.
Un joli disque ! Lorsque nous avons en main un disque de jazz d’un artiste de formation classique, de piano par exemple, nous sommes certains d’entendre un jeu techniquement sûr, un toucher léger, un bon contrôle des sonorités de l’instrument, mais nous ne savons rien, au départ, du phrasé jazz, de l’art de l’attaque et des transitions, du feeling propre à cette musique et, bien sûr, du swing. Nous pouvons donc nous attendre à une exécution propre, irréprochable d’un certain point de vue, agréable,mais étrangère en fait à ce que le disque prétend…
La jeune Stephanie Trick a fait, en peu d’années, de remarquables progrès sur tous les points que je relevais : ce CD, enregistré en direct à St. Louis, Missouri, en mai 2010, en est le témoignage. Nourrie aux meilleures sources (Fats Waller, James P. Johnson, Albert Ammons, Donald Lambert, Willie Smith), elle connaît aussi les grands représentants du piano jazz contemporain (Dick Hyman, Ralph Sutton, Bernd Lhotzky, Louis Mazetier) : sa sensibilité et son talent ont fait le reste.
Très vite, l’auditeur apprécie un toucher nuancé, un clavier qui respire, une capacité évidente à dégager le chant - In the wee small hours - ainsi qu’une ligne ferme, sans temps morts ni hésitations ; et le swing est au rendez-vous en de nombreuses pièces, en souplesse et en finesse d’accentuation - Shout for joy, Truckin’, Harlem strut -. Tout au plus peut-on relever une très légère instabilité du tempo dans Blues for Alfie ou Handful of keys, non gênante. La jolie ballade In the wee small hours est jouée avec beaucoup de sensibilité, tout comme Roberto Clemente, mais montre aussi que l’approfondissement du feeling du jazz n’est pas encore totalement gagné et que ce merveilleux piano laisse encore percer l’esprit classique ; ce qui n’est pas à proprement parler un reproche. Les deux pièces peuvent faire penser ainsi à la musique du compositeur américain Louis Moreau Gottschalk(1829-1869), « Chopin d’Amérique » disait-on. Légèreté et variété du boogie dans Shout for joy, et Everything happens avec quelque chose du Lion. L’énergie et la précision de l’articulation font vivre le titre suivant et le dernier, où le tempo n’inquiète ni la pianiste… ni l’auditeur. Vous remarquerez aussi la très jolie manière dont Stephanie Trick fait sonner l’aigu de son clavier en fin de I ain’t got nobody, ainsi que le traitement original de la chanson de Joe Dassin, Champs-Élysées.
Les idées personnelles ne manquent pas. Certains morceaux, cependant, sont respectueux du cadre de la tradition ou de l’excellence, tels Mule walk (James P. Johnson, 1943) ou Handful of keys (Fats Waller, 1928), mais Echoes of spring, qui semble « paralyser » bien des pianistes sans doute à cause de la perfection de la pièce et de l’intensité de son chant, présente quelque apport de Stephanie Trick : rubato autre, intonation, notes additionnelles, etc., beaucoup de goût et le sens de la poésie, indéniablement. Souhaitons à cette jeune musicienne d’aller plus loin encore dans cette voie : nous aimerions l’entendre en orchestre où le piano a le rôle difficile de l’accompagnement.
Quand je vous aurai dit que l’instrument est parfaitement capté, vous n’aurez plus d’hésitations pour acquérir ce CD.
Daniel Janissier ( Bulletin du HCF N°598 - Février 2011)
- CD1 (SJA 2001) : REX STEWART – RENDEZVOUS WITH REX: Tillie’s twist, Pretty ditty, Tell me more, Trade winds, My kind of gal, Blue echo
- CD2 (SJA 2002) : EARL HINES – EARL’S BACKROOM : Brussels’ hustle, Oooh !, Backroom at the Villa d’Este ; COZY COLE – COZY’S CARAVAN : Caravan, Phatz’ blues, Margie
- CD3 (SJA 2003) : BUSTER BAILEY – ALL ABOUT MEMPHIS : Bear wallow, Hatton Avenue and Gayoso Street, Sunday parade, Beale Street blues, Memphis blues, Chickasaw bluff, Hot water bayou
- CD4 (SJA 2004) : BUDDY TATE – SWINGING LIKE TATE: Bottle it, Walk that walk, Miss Sadie Brown, Moon eyes, Rockin’ Steve, Rompin’ with Buck
- CD5 (SJA 2005) : COLEMAN HAWKINS : THE HIGH AND MIGHTY HAWK : Bird of prey blues, My one and only love, Vignette, Ooh-wee Miss G.P. !, You’ve changed, Get set
- CD6 (SJA 2006) : DICKY WELLS – BONES FOR THE KING : Bones for the King, Sweet daddy spo-de-o, You took my heart, Hello Smack !, Come and get it, Stan’s dance
- CD7 (SJA 2007) : BUDD JOHNSON – BLUES À LA MODE : Foggy nights, Leave room in your heart for me, Destination blues, Blues à la mode, Used blues, Blues by five. Bonus : Foggy nights (version mono)
- CD8 (SJA 2008) : BILLY STRAYHORN – CUE FOR SAXOPHONE : Cue’s blue now, Gone with the wind, Cherry, Watch your cue, You brought a new kind of love to me, When I dream of you, Rose room
- CD9 (SJA 2009) : DICKY WELLS – TROMBONE FOUR-IN-HAND : Blue moon, Airlift, It’s all over now, Wine-O Junction, Heavy duty, Short tall fat small, Girl hunt.
Voici rassemblés en un coffret de neuf CD les fameux enregistrements supervisés par Stanley Dance pour la marque Felsted. Cela représente seize séances new-yorkaises allant du 28 janvier 1958 au 22 avril 1959, avec en plus celle organisée par Yannick Bruynoghe à San Francisco (Earl Hines Quartet). Chacun des CD du coffret reproduit l’un des neuf microsillons Felsted originaux. Un livret de quarante-quatre pages inclus dans le coffret reprend les notes originales de Stanley Dance, textes très instructifs sur les artistes et leurs interprétations. Stanley Dance avait su choisir des musiciens appartenant au « gotha » du jazz et la mayonnaise avait pris, ce qui de prime abord n’était pas évident. Le principal point faible est Curtis Lowe dans la séance Earl’s Backroom: assez plaisant au ténor, il ne s’avère guère passionnant au baryton. On pouvait aussi s’attendre à des moments plus enthousiasmants concernant le disque de Hawkins, mais le ‘Bean’ se montre irrégulier, loin d’atteindre en permanence son plus haut niveau. Dickie Wells de son côté, avec la manie des « notes bizarres » qui l’avait saisi quelques années auparavant, n’est pas souvent inspiré. Hugues Panassié avait largement parlé de ces disques à leur parution et nous ne voyons rien à redire sur la pertinence de ses critiques, sinon qu’avec le temps ces séances, comme certains vins, se sont plutôt bonifiées. Comme les chroniques originales figurent dans des Bulletin(s) très anciens, voici quelques notes sur chacun de ces neuf disques.
- CD 1. Sous la direction de Rex Stewart, ce CD comporte, comme la plupart des disques Felsted de Stanley Dance, deux sessions distinctes. La première formation (plages 2, 3 et 5) est particulièrement swingante avec Willie Smith Le Lion au piano (sauf dans la plage 5) et Arthur Trappier à la batterie. Elle met en valeur George Clark (ts), Haywood Henry (bs et cl) et le trombone George Stevenson dont c’est un des meilleurs disques. La seconde formation, avec une rythmique moins efficace, s’attache plus à l’aspect mélodique de la musique où excellent Rex Stewart et Hilton Jefferson. Tous les morceaux du recueil sont de plaisantes compositions de Rex.
- CD 2. Les trois premiers morceaux sont joués par un quartet dirigé par Earl Hines avec une bonne rythmique menée par le batteur Earl Watkins. Ils seraient parfaits sans les solos bien médiocres du saxophoniste Curtis Lowe. Heureusement Earl, dont l’inspiration foisonne tant en solo qu’à l’accompagnement, rattrape bien des choses. Les trois autres faces sont interprétées par une petite formation dirigée par Cozy Cole. On y entend le brillant guitariste et chanteur Dickie Thompson, de bons solos de trombone du méconnu Phatz Morris, mais c’est Cozy qui se taille la part du lion avec un long et formidable solo de batterie parfaitement construit sur Caravan.
- CD 3. Ce plaisant recueil est consacré au clarinettiste Buster Bailey, que l’on trouve soit avec une petite formation préfigurant les Saints and Sinners dont il fut l’un des fondateurs, soit en quartet avec la même rythmique. C’est Jimmy Crawford qui tient la batterie, avec quel swing ! Buster n’est pas toujours d’une inspiration constante, mais le positif l’emporte nettement (Beale Street blues), et il y a de fort bons solos de Vic Dickenson, Hilton Jefferson, Herman Autrey et Red Richards.
- CD 4. La première moitié du disque est occupée par l’orchestre régulier de Buddy Tate avec Walk that walk et Miss Sadie Brown, deux blues en tempo moyen très réussis, arrangés avec simplicité mais efficacité, où Buddy donne toute sa mesure. Dans la seconde moitié c’est, toujours avec Buddy, un orchestre de studio à la composition alléchante, mais qui n’a pas une aussi bonne cohésion. Les solos sont heureusement brillants (Buddy, bien sûr, mais aussi Buck Clayton et Earl Warren), seul Dickie Wells n’est guère inspiré.
- CD 5. Coleman Hawkins est ici entouré de la même formation tout au long du disque. Le pivot de la rythmique, la batterie, est hélas aux mains d’un batteur au swing faiblard, Mickey Sheen. Le jeu de Hawkins s’en ressent et n’atteint pas toujours son meilleur niveau. Royal dans My one only love et You’ve changed, il est irrégulier dans les autres faces. Buck Clayton, lui, est constamment inspiré (Bird of prey blues). Ray Brown, sur lequel repose ce qui reste de la pulsation, joue remarquablement ; notez son habile et original solo sur Bird of prey.
- CD 6. Avec la même section rythmique, Skip Hall (org/p), Major Holley (b) et Jo Jones (d), nous avons à nouveau deux formations : d’une part un quatuor de trombones (Dickie Wells, Emmett Matthews, Benny Morton et Vic Dickenson) et d’autre part un ‘all stars’ comprenant Dickie Wells (tb), Buck Clayton (tp), Buddy Tate (ts) et Rudy Rutherford (bs, cl). Les trois plages en quatuor sont très réussies, avec des arrangements et des riffs d’ensemble bien envoyés et de bons solos (à l’exception de Dickie toujours irrégulier). Les interprétations du ‘all stars’ sont plus inégales (les solos de Dickie ne sont pas meilleurs et ceux de Rutherford rébarbatifs).
- CD 7. Ce CD constitue le sommet de la série : tout amateur de jazz devrait l’avoir dans sa discothèque. Si ce n’est pas votre cas, vous n’aurez plus d’excuse, car à lui seul il vaut l’achat du coffret. Jugez-en par le personnel : Harold Baker (tp), Quentin Jackson (tb), Russell Procope (cl), Johnny Hodges (as) qui se cachait sous le pseudonyme de Cue Porter, Billy Strayhorn (p), Al Hall (b) et Oliver Jackson (d). Et il n’y a aucun déchet. Hugues Panassié, dans sa chronique du Bulletin 113, concluait par ces mots en majuscules : « UN DISQUE À NE PAS RATER ».
- CD 8. On retrouve ici le système des deux formations : Budd Johnson (ts), Charlie Shavers (tp), Ray Bryant (p), Joe Benjamin (b), Jo Jones (d) pour la première, et pour la seconde le pianiste/organiste Bert Keyes remplaçant Ray Bryant, et Vic Dickenson s’ajoutant au groupe. C’est encore un disque agréable à mettre au crédit de Stanley Dance, d’un niveau certes moins élevé et plus inégal que le volume 7 ; mais il contient pas mal de bons solos et met en valeur ce musicien sous-estimé qu’est Budd Johnson.
- CD 9. L’aventure des disques Felsted se termine avec ce recueil où nous retrouvons Dickie Wells avec le même quatuor de trombones que dans le CD 6, à cette différence près que le guitariste Kenny Burrell intervient dans les trois premiers morceaux et que Jo Jones est remplacé par Herbie Lovelle. Bien que ce dernier soit intrinsèquement inférieur à Jo, son solide ‘back beat’ s’adapte mieux à la musique de Dickie, si bien que ce disque est plutôt meilleur que l’autre. Parmi les trombones, c’est Vic Dickenson qui se montre le plus inspiré, mais Dickie Wells a de bons moments dans Wine-O junction et Girl hunt où Skip Hall joue en ‘stride’ une alerte série de chorus.
Si nous avons un conseil à vous donner, c’est d’aller sans délai acheter ce copieux coffret et de le déguster comme un bon bordeaux.
Jean LABAYE et Dominique BRIGAUD - Bulletin du HCF
- Voir aussi Les Sessions Felsted de Stanley Dance par Charles Bashung - Bulletin du HCF N°607 - Janvier 2011
JAZZ A LIMOGES
par
Claude-Alain CHRISTOPHE
Editions de L'Harmattan 2011
219 pages, 70 photographies
Dans un Guide pour les jeunes voyageurs en France paru en Angleterre dans les années 80, la ville de Limoges « était décrite comme la capitale des arts du feu, mais aussi du jazz ! », peut-on lire à la page 130 de Jazz à Limoges. Distinction non usurpée, comme en témoigne, à la fin de l'ouvrage, l'impressionnante liste des concerts organisés par le Hot Club de cette ville, dont Claude-Alain Christophe s'est fait l'historien. Pour mener à bien ce travail, il a non seulement consulté les archives locales et puisé dans ses propres souvenirs, mais également utilisé les longs entretiens qu'il a menés avec les deux principaux artisans de cette « saga » : Roger Blanc et Jean-Marie Masse.
Après une introduction qui analyse avec pertinence les particularités du langage musical appelé jazz, l'auteur consacre un chapitre à Roger Blanc (1913-2007). Dentiste, pianiste et trompettiste, il a dès son adolescence, en 1928, la révélation du jazz et le fera connaître aux Limougeauds grâce à une émission de radio qu'il animera chaque semaine de février à juillet 1938. Disparu à quatre-vingt-quatorze ans, « dont quatre-vingts ans d'amour du jazz [...], il avait été un des premiers à découvrir l'originalité et les qualités de cette musique » (p. 26). Viennent ensuite trois chapitres sur la vie et l'oeuvre fondatrice de Jean-Marie Masse, créateur en 1948 du Hot Club de Limoges et depuis lors son président. Homme aux multiples talents, il n'a que dix-sept ans (il est né en 1921) lorsqu'en 1938, il expose ses premières toiles et commence à songer à une carrière d'artiste peintre. Mais, à la même époque, la découverte du jazz (via l'émission de Roger Blanc) puis sa rencontre avec Hugues Panassié (qui l'héberge à Montauban en 1944 avec d'autres réfractaires au STO) vont profondément et durablement orienter le cours de sa vie. Après la guerre, il apprend, sous la férule de Jerry Mengo, à jouer de la batterie, devient musicien professionnel au sein d'un orchestre de danse dirigé par Pierre Guyot, anime et bientôt produit des émissions à Radio Limoges. Le couronnement d'un tel dynamisme sera, le 26 janvier 1948, la création officielle du Hot Club de Limoges : Rex Stewart, qui s'est produit sur scène quelques jours auparavant, en sera le premier président d'honneur. Voici en quels termes Claude-Alain Christophe dresse le bilan de cette activité débordante : « Premiers concerts de grands jazzmen à Limoges, création du Hot Club, [...] abandon de la peinture comme activité principale, début en tant que musicien professionnel et aussi comme producteur de radio, ce qui va devenir son second métier : on peut dire que l'année 1948 aura marqué un tournant dans la vie de Jean-Marie Masse » (p. 78).
À partir de ce moment, la plupart des grands musiciens de jazz viendront à Limoges pour des concerts mémorables ; à Rex Stewart succèderont (la liste est loin d'être exhaustive !) Don Byas, Bill Coleman, Buck Clayton (tous deux coprésidents d'honneur après le décès de Stewart), Lionel Hampton, Duke Ellington, Willie Smith « Le Lion », Earl Hines, Milt Buckner et Jo Jones, Illinois Jacquet (autre président d'honneur du Hot Club), des bluesmen comme Big Bill Broonzy, Memphis Slim, Mickey Baker, les chanteuses Linda Hopkins, Carrie Smith et, pour le gospel, Sister Rosetta Tharpe, les Stars of Faith, ou plus récemment le groupe féminin New Spirit, sans oublier les Français Alix Combelle, Guy Lafitte, Claude Bolling, Michel Attenoux, Paul Chéron et le Tuxedo Big Band, etc. etc. Chaque fois, l'auteur nous entraîne dans les arcanes de l'organisation des concerts, nous fait découvrir les coulisses du spectacle et partager l'intimité des artistes. Enfin, il raconte en détail « l'aventure de Swing FM », la seule radio qui, depuis 1992, diffuse du jazz 24 heures sur 24 et qui, grâce à son site Internet, peut toucher les auditeurs du monde entier. Mais il y a encore bien d'autres choses passionnantes dans Jazz à Limoges : par exemple, au chapitre VII, intitulé « Souvenirs, portraits et anecdotes », on apprend que Wellman Braud, lorsqu'il voyageait en train, installait toujours sa contrebasse dans les toilettes et l'attachait avec l'essuie-mains, on découvre l'origine du pseudonyme (Vernon Sullivan) utilisé par Boris Vian pour signer J'irai cracher sur vos tombes, ou bien l'on suit avec délectation les mésaventures d'Albert Nicholas et de son briquet qui joue Star Dust quand on l'allume !
Jazz à Limoges, illustré par plus de soixante-dix photos, est donc un livre important parce que, dans un posé et clair, Claude-Alain Christophe explore et analyse un pan de l'histoire du jazz en France et prouve qu'il n'y a pas qu'à Paris que se fait et s'écrit son aventure.
Alain Carbuccia - Bulletin du hcf 605 - Novembre 2011
RAY CHARLES
LIVE IN FRANCE 1961
Archive INA
Filmé sous la direction de Jean Christophe Averty
Reelin' In The Years Productions EREDV904
18 juillet 1961 : The story, Doodlin', One mint julep, Let the good times roll, Georgia on my mind, Sticks and stones, Hallelujah I love her so, What'd I say ; 22 juillet 1961 : Hornful soul, Let the good times roll, Georgia on my mind, My Bonnie, With you on my mind, Ruby, Tell the truth, I wonder, Sticks and stones, I believe to my soul, What'd I say. Titres bonus : 19 juillet 1961 : The story, Sticks and stones, Yes indeed, I believe to my soul, What'd say ; 21 juillet 1961 : I wonder.
C'est en juillet 1961 que Ray Charles, âgé de trente et un ans, vient en Europe pour la première fois à l'occasion du festival de jazz d'Antibes-Juan-les-Pins dont le présent DVD se fait partiellement l'écho. Le Genius (au piano) se présente ici avec son septette régulier1 : deux trompettes (Phillip Guilbeau, John Hunt), trois saxos (Leroy Cooper, Ray Crawford, David 'Fathead' Newman), un bassiste (Edgar Willis) et un batteur (Bruno Carr), auxquels s'ajoute le quatuor des Raelets (Gwen Berry, Margie Hendrix, Pat Lyles, Darlene McCrea). Les concerts, filmés sous la direction de Jean-Christophe Averty et retransmis à l'époque par la RTF, n'avaient jamais fait l'objet d'une publication en DVD.
Le programme, bonus compris, emprunte à quatre séances : de là quelques répétitions de titres, exécutés sans variantes notables. Tous les thèmes nous sont aujourd'hui familiers par le disque, la plupart réédités à l'infini ou édités dans des versions différentes, mais, replacés dans le contexte, certains faisaient presque figure de nouveautés, y compris Georgia dont les premières mesures sont loin d'être saluées par les applaudissements nourris qui deviendront la norme. Il n'y a guère que The story pour avoir peu encombré les microsillons : cette interprétation est d'ailleurs la moins palpitante car, placée en ouverture de deux concerts, elle permet surtout de présenter l'orchestre et constitue une « séquence d'échauffement » avec défilé des souffleurs à la cadence d'un par demi-chorus.
À l'exception de ce dernier thème, le répertoire donne rarement aux musiciens l'occasion de briller en solo. David Newman, le seul vraiment sollicité, se voit confier plusieurs interventions au ténor ainsi que l'obbligato de flûte attendu sur Georgia. Avec son jeu robuste, son attaque ferme, ses phrases découpées avec netteté, parfois ses accents de « prêcheur » (Yes indeed), il se montre particulièrement à l'aise sur Doodlin' (deux chorus éloquents), Hallelujah I love her so (un chorus incisif), My Bonnie et Tell the truth.
L'ensemble des programmes est, comme il se doit, réservé à Ray Charles. Si l'on s'attarde en priorité sur Hornful soul, c'est que ce blues en tempo moyen-lent fait bénéficier d'un copieux solo de piano : six chorus captivants, sans le moindre étalage de virtuosité, au long desquels le clavier ne cesse d'être percuté et malaxé de façon harcelante en vue d'une expressivité maximale, avec pour tout « effet », en fin de développement, un emploi efficace du 'block chord ' et du riff insistant. Bien que n'atteignant pas ce degré d'intensité, les deux chorus de Doodlin' (encadrés par un arrangement de Quincy Jones) sont balancés en souplesse, et les trente-deux mesures du rapide Sticks and stones (aux breaks générateurs de swing) sont déroulées avec une vigueur saisissante.
Ray Charles chante la quasi-totalité des thèmes et, à cette époque, l'influence (assumée) de King Cole affleure encore dans des ballades comme With you on my mind et Ruby. Mais le reste du programme confirme l'originalité de cette voix aux intonations multiples : tantôt éraillée et enflammée (Let the good times roll), tantôt poignante (I believe to my soul), ailleurs suppliante, recourant au falsetto et à un vibrato parfois aux limites de la cassure (Tell the truth). Ray Charles apprécie en particulier ces tempos lents, voire ultra-lents, engendreurs d'ambiances envoûtantes : témoin I wonder et, par-dessus tout, les deux versions de Georgia, empreintes d'une profonde émotion, où la voix se charge des nuances les plus diverses (confidentielle, écorchée, plaintive, nostalgique...). À l'opposé, la véhémence peut l'emporter (Yes indeed), notamment lors de ces codas prolongées à plaisir (Hallelujah I love her so), parfois dialoguées avec le choeur (Sticks and stones).
Concernant les Raelets, si les commentateurs des disques et des concerts de Ray Charles n'omirent jamais de signaler leur présence, ce fut souvent sans insister sur la singularité de leur rôle, pourtant à cent lieues de celui de choristes décoratives. Non seulement elles faisaient partie intégrante du spectacle Ray Charles , installées au centre de la scène et au plus près de la rampe, groupées autour du même micro (en coeur ?), mais leurs interventions prenaient sens dans les dialogues qu'elles instauraient avec le chanteur (le provocant What'd I say est resté la référence) et dans les échos qu'elles apportaient à ses paroles sous forme de répétitions insistantes à la manière de riffs (With you on my mind, Sticks and stones). Leur participation aboutissait aussi à des backgrounds en forme d'accords d'orgue (My Bonnie) et à la « coloration » des thèmes : celle, dramatique, de I Wonder, ou celle, hargneuse, de Tell the truth, rendue à merveille par la voix « growlée » de Margie Hendricks.
Par-delà leur importance « historique » (rencontre de Ray Charles avec le public français, présence des premiers compagnons, exécution de pièces durablement marquantes), ces programmes sont indispensables en ce sens qu'ils attestent - et de façon probante - la nouveauté que l'artiste apportait à la musique de jazz. Ajoutons que le label Jazz Icons, conformément à son habitude, est le garant d'une image et d'un son aussi soignés que possible s'agissant de documents d'un demi-siècle qu'il fallut restaurer et remasteriser. Autant de motifs pour ne pas passer devant le Genius le chapeau sur la tête.
Jacques Canérot - Bulletin du HCF 606 - décembre 2011
1- Quand Ray Charles reviendra en France trois mois plus tard (concerts à Lyon le 19 octobre et au Palais des Sports de Paris les 20, 21 et 22), il sera accompagné par une formation de seize musiciens et jouera de l'orgue Hammond.
JAZZ DANS L’OBJECTIF
Textes et Photographies de Noëlle Ribière
Préface de Claude Bolling
Éditions Du May, 2011
144 pages en format 22 x 28,5 cm, relié avec jaquette. 273 photos noir et blanc
La plupart des albums publiés sont l’oeuvre de professionnels1, et l’on sait que l’art de la photo suppose souvent retouches et mises en scène. Noëlle Ribière n’appartient pas au sérail : c’est une amatrice passionnée qui livre des clichés-coups de coeur d’une rare authenticité. « La photo, écrit-elle dans son avant-propos, c’est ma façon de m’exprimer .[…] J’y mets toutes mes émotions, mes sensations comme le musicien dans son interprétation. » Et de fait, que ce soit sur scène ou dans l’intimité, tous les artistes sont saisis dans leur vérité, chaque instantané transmettant au spectateur la communion entre la photographe et son sujet.
Organisé en dix sections, dont les titres empruntent au langage technique de la photographie (« Déclic », « Révélateur », « Fixateur », « Zoom »…), le classement des clichés suit les moments importants de la vie de l’auteur dans le monde du jazz : le premier concert (Bill Coleman en 1968), la Grande Parade du Jazz de Nice où l’on peut voir et côtoyer les plus grands (Jimmy Witherspoon accompagné par les Savoy Sultans de Panama Francis, Buck Clayton, Barney Bigard, Benny Carter, Vic Dickenson…), les festivals de Montauban (Ray Charles, Fats Domino), d’Andernos (Jo Jones) ou de Monségur (Rhoda Scott), la rencontre, en 1973, avec Claude Bolling (et son orchestre) qui, pour la jeune photographe, « sera le début d’une longue amitié […] et le véritable apprentissage de ma connaissance du jazz » (p. 34). C’est aussi la découverte de groupes prestigieux du gospel (les Stars of Faith, les Barrett Sisters), des chanteurs et chanteuses de blues (Memphis Slim, Mickey Baker, Zora Young) et des danseurs (Bunny Briggs, Jimmy Slyde, Chuck Green), la plupart « immortalisés » lors des concerts organisés par le Hot Club de Limoges, ville où réside l’auteur. On ne saurait oublier les surprenants clichés du chapitre intitulé « Instantanés » (Dorothy Donegan perdant sa perruque sur scène !) et de beaux portraits glanés au fil des pages : Illinois Jacquet, Slim Gaillard et, surtout, Carrie Smith qui fait brillamment la couverture. Pour terminer, Noëlle Ribière consacre un chapitre aux jeunes jazzmen : Paul Chéron, Bernd Lhotzky, Evan Christopher, Steeve Laffont, Julie Saury…, « nouvelle génération de musiciens qui nous affirme avec talent qu’on n’enferme pas le jazz ni aucun art dans un mausolée » (p. 122). Il convient de saluer le travail de mise en page qui sait mettre en valeur chaque tirage (disposition, fond, cadrage), ainsi que certains montages très « cinématographiques » : les gestes de Claude Bolling (p. 39), les expressions de Liz McComb (p. 65), les grimaces de Floyd Smith (p. 75). Enfin, les textes ouvrant chaque chapitre fourmillent d’anecdotes personnelles qui souvent dévoilent avec bonheur la personnalité des musiciens. Ce très riche album révèle le talent d’une passion : celle de la photo alliée à celle du jazz. Les clichés qui le composent font pénétrer le lecteur-spectateur au coeur d’un monde musical où règnent enthousiasme et amitié. C’est aussi un bel hommage rendu à des artistes peu souvent pris par les flashes des professionnels. Noël approche, il faut penser aux cadeaux. Pourquoi pas Jazz dans l’objectif ?
Alain Carbuccia - Bulletin du HCF N°605 - Novembre 2011