8
Ces interprétations ont été enregistrées à La Nouvelle-Orléans en octobre 1996 par Doc Cheatham (dont c'est sans doute le dernier disque) et Nicholas Payton, accompagnés par Ernest Elly à la batterie, Butch Thompson au piano, Les Muscutt à la guitare, Bill Huntington à la basse, Jack Maheu (clarinette), Tom Ebbert, Lucien Barbarin (trombone) apparaissent dans quelques morceaux. Doc joue et chante, Nicholas Payton joue de la trompette.
Près de 70 ans séparent ces deux musiciens ! Doc pourrait être l'arrière-grand-père de Nicholas, pourtant une parfaite communauté d'inspiration, et ce qui est encore plus remarquable de , unit ces deux musiciens ; il y a même des moments où Nicholas Payton joue encore mieux que son aîné. On peut les distinguer d'abord par la plus grande aisance instrumentale du jeune et par le son plus mat de l'ancien.
Jeepers Creepers , une des meilleures interprétations, où la section rythmique carbure le mieux, est exposé par Nicholas Payton. Doc Cheatharn prenant le pont ; après un vocal accompagné à la trompette bouchée, les deux trompettistes dialoguent, Payton commençant, en prenant d'abord 16 mesures chacun, puis 8, puis 4 : stupéfiant ! Stardust est joué d'abord par Doc, couplet et refrain, Nicholas lui succède dans une parfaite continuité d'expression. Dinah, après un vocal de Doc, est joué par Nicholas en grande forme terminant à la Louis Armstrong.
Do you believe in love at sight, Maybe, The world is waiting for the sunrise sont bien swingués sur d'excellents tempos, la batterie d'Ernest Elly étant particulièrement performante et les improvisations collectives bien venues. Nicholas joue souvent de beaux contre-chants aux vocaux de Doc (The worid is waiting for the sunrise notamment). Un ou deux morceaux (lada, I cover the waterfront) sont pris sur des tempos trop lents et l'intérêt faiblit, Les quelques solos de clarinette et de trombone ne cassent rien, mais sont courts ; par contre, on aurait aimé entendre plus souvent en solo l'excellent pianiste Butch Thompson, qui ne montre son savoir-faire que dans Maybe.
Si c'est bien là l'ultime prestation phonographique de Doc, on peut dire qu'il nous a vraiment quittés en beauté.
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Ces enregistrements pris sur le vif en décembre 1996 (ce que n'indique pas le livret réduit au minimum) font entendre un quartette composé d'Olivier Franc (saxo soprano), Pierre Calligaris (piano), Alan Kelly (guitare) et Ivan Capelle (batterie).
Olivier Franc a été rarement (jamais ?) si bien mis en valeur. On sait que son jeu s'inspire profondément de celui de Bechet mais personne n'a capté comme lui son accent triomphal, sa flamme, son esprit, grâce, bien sûr, à une admiration active mais aussi à une maîtrise instrumentale parfaite. Il interprète d'un bout à l'autre, de façon majestueuse et vibrante Summertime et On thé sunny side of the street. Il est le principal soliste de tous les autres morceaux en se montrant invariablement fort inspiré, notamment dans Sheik of Araby, Cake walking babies, Wild cat blues.
On constate avec joie que Pierre Calligaris trouve là une occasion de prouver sa e exceptionnelle car il possède un talent aussi grand que sa discographie est mince. Il apparaît en solo dans tous les morceaux excepté les deux réservés à Olivier Franc. On ne peut que rester ravi devant son jeu ultra-swinguant, bâti sur une main gauche à la fois souple et puissante et animé par une main droite dansante et primesautière. Et quelle que soit l'interprétation, standard : ( Sheik ofAraby, Wild cat blues, Cake walking babies, Honeysuckle rose, il est époustouflant dans ces deux derniers titres), ballades : (Where am I, The man l love), blues lent : (Braise), ou rapide : (Aigle noir shuffle, Sidney's boogie, où il pratique le boogie avec une agilité que peuvent lui envier bien des spécialistes de ce ).
Alan Kelly apporte un soutien efficace à la guitare, prend quelques solos plaisants (Braise, Aigle noir shuffle...) et chante brièvement dans Squeeze me et Honeysuckle rose. Ivan Capelle, auteur d'une excellente partie de batterie fournit un accompagnement toujours attentif et intervient brillamment en solo, notamment dans Sheik ofAraby (sans perdre de vue la mélodie). La reproduction est vivante même si parfois l'équilibre aurait pu être meilleur.
Cet album, particulièrement plaisant, pourrait bien être une révélation pour beaucoup.
A.V
Ce disque est disponible aux concerts de l'orchestre ou auprès d'Ivan Capelle, 14 rue de Bourgogne, 87220 Feytiat (tél. 05 55 48 38 18-fax: 05 55 48 52 00) ou auprès de Pierre Calligaris, 8 rue des Champs Pérault, 77690 Montigny-sur-Loing (tel-fax : 01 64 45 75 94).10
Voici réunie, pour la première fois sur un seul CD, l'intégralité de la séance historique du 28 septembre 1953 à l'Ecole Normale de Musique. A cette époque Lionel effectuait sa première tournée européenne avec son grand orchestre. Un orchestre recruté spécialement pour ce voyage et qui comprenait quelques futures " vedettes ", comme Clifford Brown, Clifford Scott et... Quincy Jones. Hugues Panassié avait obtenu, de la compagnie Vogue, de superviser une séance d'enregistrement de Lionel Hampton avec quelques musiciens spécialement choisis pour la circonstance : Lionel avait retenu Walter Williams pour la trompette, Al Hayse et Jimmy Cleveland pour le trombone, Clifford Scott pour le ténor, Curley Hamner pour la batterie, Billy Mackel à la guitare, Monk Montgomery à la basse . Hugues Panassié avait convoqué Claude Bolling et Alix Combelle , Mezz Mezzrow était le choix commun des deux. (De leur côté, les boppers de l'orchestre, Art Farmer, Gigi Gryce, Clifford Brown... enregistraient quelques jours plus tard pour la même compagnie, mais sans l'aval de leur chef, ce qui leur créa subséquemment de sérieux ennuis).
Lionel avait écrit " Mon cher Hugues, votre demande de faire des disques m'a enthousiasmé comme jamais je ne l'ai été de ma vie (sauf quand j'entends Louis Armstrong). Je vous promets de faire le maximum pour enregistrer les meilleurs disques de ma carrière, et mes musiciens joueront eux aussi de tout leur cœur, sachant que ces disques sont faits tout particulièrement pour les membres du Hot-Club de France de Panassié... ". II a tenu parole, ces enregistrements sont sensationnels, à mettre sur le même plan, quoique dans un genre bien différent, que les fameuses sessions RCA des années 37/41. Hugues Panassié avait tenu à varier les interprétations : il y a trois morceaux en trio où Lionel déploie toute sa verve mélodique, dans un jaillissement d'idées intarissable : September in the rain, Always et I only have eyes for you où il est merveilleusement accompagné par la guitare de Billy Mackel et la contrebasse de Monk Montgomery (frère de Wes) . Un blues lent de haute cuvée Blue Panassié ; deux morceaux en tempo moyen-vif, Free press oui et Walkin' at the Trocadéro ; un blues rapide en plusieurs épisodes, la série des " Crazy ". Lionel joue du piano à l'accompagnement et en solo dans Trocadéro.
Les ensembles, mis au point sur place, de même que les riffs de soutien sont vraiment " décoiffants " ! Walter Williams à la trompette, dans un dru et concis à la Jonah Jones, est particulièrement sensationnel dans sa façon de faire monter la tension à la fin des interprétations. Combelle, Bolling, Mackel prennent les meilleurs solos ; Clifford Scott, qui allait faire un tabac trois ans plus tard avec Bill Doggett, n'est pas à son meilleur niveau ici ; des deux trombones, Al Hayes est le plus purement jazz, Cleveland, peut-être plus doué, est fortement attiré par le bop ; Mezz, comme d'habitude, n'avait pas assez travaillé son instrument avant la séance, mais il n'a pas son pareil pour installer le climat blues au début de Blue Panassié. Et le fondement sur lequel tout cela s'appuie, est la section rythmique, une formidable équipe Hamner/Montgomery/Mackel ! Alors que le batteur en titre de l'orchestre, Alan Dawson, louchait plutôt vers Kenny Clarke et Max Roach, Curley Hamner était un pur swingman, il le montre tout au long de ce disque, par sa frappe bien personnelle cinglante et rebondissante et sa parfaite entente avec Monk Montgomery. La partie de contrebasse de ce dernier, d'une extrême mobilité et d'une rare intelligence musicale, n'a pas peu contribué à la réussite de ces enregistrements. Pendant les quelques solos relativement faibles, reportez-vous sur la basse et vous ferez des découvertes !
Un disque indispensable.
4
Si les Shirley Wahls Singers ne sont pas (encore) bien connues en France, elles n'en constituent pas moins un fort remarquable groupe d'interprètes de gospels. Ces cinq chanteuses, excellentes solistes, interviennent à tour de rôle selon les morceaux, ce qui rend leur programme très varié tout en restant homogène. Elles sont accompagnées par leur pianiste attitré, Herald Johnson, et accueillent dans cet album deux invités : l'organiste Richard Gibbs et le drummer Victor Baker. Ces enregistrements datent du 4 novembre 1995.
Oh to be kept sert de mise en train, le groupe complet chantant sur tempo lent avec une flamme contenue. La directrice, Shirley Wahis, qui s'exprime sobrement avec une voix profonde, occupe la place de soliste dans quatre titres : Get right church, allègrement enlevé, cependant que le groupe swingue en marge avec ardeur ; Touch me où le chœur intervient ponctuellement avant que l'ensemble s'anime pour faire monter la tension en ouragan ; Motherless child où, seule accompagnée par le piano, elle se limite à répéter, avec une émotion bouleversante, la phrase " Sometimes l feel like a motherless child a long way from home " ; Hold to his hands dans lequel elle se détache pour répliquer au chœur swinguant de façon impitoyable.
Trois titres sont réservés à Roxciana Watkins qui possède une voix aérienne : Down by the riverside dans lequel elle débute seule accompagnée par le piano puis le groupe surgit et la pousse avec une fougue peu ordinaire ; Done made my vow et Yonder come day où elle est soutenue par le chœur chantant a cappella. Tecora Rogers s'impose dans Wind storm et Stand by me, faisant preuve d'un abattage impressionnant, elle fonce avec véhémence et la température monte au maximum.
Delores Washington n'intervient en soliste que dans Clean heart, débutant avec le chœur puis poursuivant seule son chant frémissant et recueilli. De même Charmaine Williams assure la partie principale uniquement dans If Jésus goes with me. Sa voix un peu emphatique possède un vibrato très serré. Elle chante d'abord seule puis est rejointe par ses partenaires qui animent considérablement la seconde moitié de l'interprétation. Le pianiste Herald Johnson est le soliste de Call him up, d'une atmosphère particulière évoquant davantage la comédie musicale que le gospel traditionnel. La plage restante, In his careo, est chanté a cappella par un trio vocal réunissant Shirley Wahis, Tecora Rogers et Herald Johnson.
Un superbe disque de gospel !
N.B. — Ce CD vient de paraître en France : Black & Blue 196.2, distribution Night & Day. A.V.
5
Dans Siesta at the fiesta se succèdent Paul Chéron à l'alto, Michel Pastre, Philippe Laudet et Laurent Hotta, ce dernier dans l'aigu de son instrument,comme Trummy Young. Pourquoi le premier solo est-il d'alto au lieu de la clarinette ? II ne s'agit pas de faire une copie conforme, et à l'audition ce premier solo d'alto semble mieux convenir que la clarinette. Laudet ne joue pas comme Snooky Young mais il ne modifie pas le paysage luncefordien. Jean-Luc Guiraud est sensationnel à la batterie.
By the River Sainte Marie n'est pas joué suivant la progression du disque de Lunceford. Le Tuxedo commence par un charmeur solo de trombone, par Hotta, joliment accompagné par l'ensemble. Puis Jean-Luc Guiraud prend un vocal plus agréable que celui de Dan Grissom. Philippe Laudet suit un peu à la manière de Clark Terry, avant le fameux arrangement de Sy Oliver parfaitement exécuté. Michel Pastre se détache un instant et Sallent termine. Notez que cette version du Tuxedo est allongée de plus d'une minute, ce qui est normal puisque celle de Lunceford fut amputée de deux chorus.
Mood indigo commence par l'arrangement de Willie Smith avec les cuivres appuyés par les saxos et la clarinette sur le même tempo décontracté.Puis on entend Paul Chéron à la clarinette jouant à la Bigard, Jacques Sallent dans le Buck et Dominique Rieux à la trompette bouchée, mais moins férocement que le oua-oua de Sy Oliver. L'arrangement d'ensemble termine l'exécution.
Battle axe, arrangement de Billy Moore, est swingué avec une suprême précision sur tempo semi-vif. L'un après l'autre improvisent J.F. Duprat dans la fonction de Trummy Young, Laudet à la place de Gerald Wilson et Michel Pastre aussi vigoureux que Joe Thomas.
L'interprétation de Coquette atteint un aussi haut degré que celle de Lunceford : même souveraine aisance semblant exclure tout effort dans le premier chorus par les trompettes avec sourdine accompagnées d'un ravissant contre-chant des trombones, identique swing d'une indescriptible élégance sur le pont avec le ténor soutenu par les trombones. Quant à Serge Oustiakiane il se tire du vocal d'une manière infiniment plus jazz que Grissorn.
Okay for Baby, arrangé par Lonnie Wilfong suit d'abord le disque de Lunceford. Mais après le solo d'alto par Paul Chéron, on entend Thierry Ollé au piano, un solo supplémentaire à l'interprétation originale, ensuite le solo de ténor par Michel Pastre, puis François Duprat que l'on pourrait prendre pour Trummy Young. Moonlight and music ne fut pas enregistré en studio par Jimmie Lunceford. Une retranscription, datant probablement de 1944 en a été publiée en microsillon par les marques Olympic, OTY, Cicala,. L'arrangement de Bud Estes comprend deux ensembles de saxos luncefordiens et des échanges contrastes entre les sections d'anches et de cuivres.
l'm nuts about screwy music, c'est-à-dire " Je suis fana de musique dingue ", comprend un important vocal, couplet et refrain, dont se tire fort bien Jean-Luc Guiraud, démontrant, comme le faisaient Fats Waller ou Slim Gaillard, qu'on peut prendre une sotte mélodie et la transformer. L'arrangement d'Edwin Wilcox est déconcertant d'habileté et il fallait la virtuosité du Tuxedo pour l'exécuter. Laudet à la trompette est le principal soliste.
Le CD se termine au mieux par Well, all right then, arrangement oral sur la typique pulsation vivante du tempo Lunceford. Les solistes jouent dans le même ordre que ceux de Jimmie : Paul Chéron à l'alto, Duprat, Guiraud, séparés par le chœur d'une partie des musiciens chantant le riff " Well all right then " et de splendides échanges entre les trombones et les trompettes bouchées. Claude Bolling étant considéré comme le premier héritier spirituel de Duke Ellington, on doit conférer à Paul Chéron le même rang hiérarchique vis-à-vis de Jimmie Lunceford.
André Doutart.
6
Ces enregistrements inédits proviennent d'un concert donné en Suisse, à Baden, le 5 septembre 1969. Albert Nicholas, grande figure du jazz Nouvelle-Orléans, se trouve en compagnie du trio du pianiste Henri Chaix avec Alain Du Bois à la contrebasse et Romano Cavicchiolo à la batterie.
Albert Nicholas nous offre de la clarinette comme on n'en entend plus aujourd'hui. Il fut un maître de l'instrument, son jeu fluide coule avec agilité, son discours se développe avec une continuité mélodique exemplaire. Il démarre, le plus souvent, sur un ton confidentiel, dans le grave, puis évolue, avec de brusques éclats, vers le lyrique. Il s'exprime volontiers en longues phrases et utilise toute l'étendue de son instrument tout en conservant une sonorité chaude et ronde.
Le trio d'Henri Chaix lui apporte une pulsation impeccable. L'ensemble des interprétations suivent un schéma identique : Albert Nicholas débute, laisse ensuite la parole au piano puis revient conclure. A noter qu'il n'y a pratiquement pas de solos de contrebasse et de batterie.
La plupart des morceaux mériteraient d'être cités. Albert Nicholas reste constamment superbe, particulièrement dans Black and blue, Please don't talk about me when l'm gone, How long how long blues, Ain't misbehavin', Basin Street blues. Henri Chaix, nourri à la mamelle stride, propose des solos pleins et réjouissants : C jam blues. Blue turning grey over you, l found a new baby, How long blues (trois chorus au parfum Yancey), Rosetta, Please don't talk about me. A la tête de son trio il fournit un accompagnement parfois irrésistible : C jam blues, Ain't misbehavin', Please don't talk about me, l found a new baby.
Voilà un recueil au swing euphorique !
A.V.
7
Le jazz réserve toujours des surprises à l'auditeur curieux, en voici une nouvelle démonstration avec cet album de Svend Asmussen. Le nom de ce violoniste danois est tout juste mentionné par les ouvrages spécialisés. Ainsi, bien qu'il ait abondamment enregistré dès 1935, il ne figure pas dans la discographie de Rust. Ce recueil a sélectionné quelques-unes des interprétations provenant d'une dizaine de séances, de ses débuts jusqu'à 1940 et l'on est époustouflé d'entendre une musique brillamment enlevée et joliment swinguée. Les jazzmen danois de cette époque n'avaient rien à envier à leurs collègues français. Le portrait du jeune Asmussen illustrant le boîtier porte une devise, aujourd'hui bafouée, : " Le jazz est mélodie, swing et vitalité ".
Le disque s'ouvre sur Tiger rag, exécuté avec allégresse et Aisance, malgré la rapidité du tempo, suivi par My blue heaven, où Svend Asmussen prend un chorus qu'il débite nonchalamment. Ces deux titres datent du 6 novembre 1935. La séance du 12 mai 1938 a produit deux interprétations superbes dans lesquelles la rythmique swingue impeccablement appuyée sur un drummer convaincant. Le violon d'Asmussen balance, de façon flamboyante, dans Sweet Sue et avec une énergie contenue dans Limehouse blues (plages 6 et 7). A son côté le célèbre musicien argentin Oscar Aleman délivre une remarquable partie de guitare. Avec un personnel renouvelé, notamment un autre drummer, la rythmique de Honeysuckle rose fournit encore une pulsation stimulante à un Svend Asmussen plein d'humour.
Dans My blue heaven (plage 11), du même 26 juillet 1940, son solo trace des arabesques élégantes avec une impressionnante facilité. Cette séance produisit aussi un agréable Put on your old grey bonnet. Quelques jours plus tard, avec un personnel identique, on relève un alerte Some of these days où tout le monde se déchaîne, poussé par le drummer. Dans After you've gone, bien swingué et plaisamment arrangé, le violon tire un feu d'artifice. On apprécie aussi sa démarche tranquille dans Whispering, son élégance dans My melancholy baby, son humour dans Limehouse blues (plage 20). Svend Asmussen chante brièvement dans la plupart des morceaux de la seconde moitié de l'album.
Comme toutes les plages non citées renferment au moins quelques passages intéressants, voilà un CD qui réserve bien des surprises étonnantes.
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Ces enregistrements pris en direct (à une date récente non précisée) font entendre un duo fort étonnant : le grand pianiste Red Richards, que les amateurs connaissent bien et Charlie Gabriel, un saxophoniste que personne ne semble connaître et qui se révèle être un jazzman assez exceptionnel. C'est un choc que de découvrir un musicien possédant de telles qualités, et pourtant il ne semble pas très jeune si l'on considère sa photographie (en page 3 de couverture). Etant donné la compétence des promoteurs divers il n'est guère surprenant qu'il existe encore ça et là des jazzmen dignes d'intérêt connus seulement de leur entourage.
Charlie Gabriel joue du ténor dans un très personnel, tout rapprochement avec un des maîtres de l'instrument reste difficile, même si l'on repère de loin en loin quelques tournures à la Benny Carter ou si sa décontraction et sa sonorité feutrée peuvent évoquer Lucky Thompson. Dans Tea for two on admire son phrasé particulier combinant paradoxalement lyrisme et retenue, il joue en douceur de manière très détendue avec volubilité et humour. Toutes ses interventions sont remarquables : Three little words, exubérant ; Sophisticated lady, avec une succession de traits rapides et de moments sereins restant toujours dans le respect de la mélodie ; Poor butterfly, confidentiel, un peu haletant ; l wished upon the moon, nonchalant et drôle ; Fine and dandy, très prolixe.
Dans Sweet Lorraine et l can't give you anything but love, Charlie Gabriel joue d'un instrument annoncé comme étant un " saxello " qui sonne un peu comme un soprano avec une sonorité plus aigre. Ce pourrait être un soprano fabriqué dans une tonalité inhabituelle, du genre des instruments utilisés par Roland Kirk. Quoi qu'il en soit l'accent nasillard de ce saxello diminue sensiblement l'intérêt de ces deux plages. Inutile de préciser que Charlie Gabriel bénéficie dans toutes ces interprétations d'un accompagnement de piano magistral.
Nous avons souvent vanté les mérites de Red Richards que beaucoup sous-estiment. Lui aussi possède un jeu très personnel, notamment par le contrepoint que tisse sa main gauche : Un élégant, extrêmement musical et swinguant, un tempo inébranlable et l'art de développer son discours. Dans chaque morceau il prend de superbes solos . Par ailleurs, il assure seul Echoes of spring, pris sur un tempo inattendu, et What am l here for. Il est également seul dans Someday you'll be sorry qu'il chante, comme toujours, très inspiré de Louis Armstrong et en se fournissant un passionnant accompagnement de piano.
Un disque exceptionnel ! Par les temps qui courent ce n'est pas tous les jours qu'on rencontre un jazzman, de classe, inconnu.
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Les autres interprétations ne manquent pas d'intérêt : Exactly like you, pris sur un plaisant tempo moyen animé par la pulsation souple de Simon Boyer ; l let a song où Daniel Huck aligne les phrases chantantes avec une belle envolée et où Pat Giraud prend un chorus contrasté tour à tour véhément et confidentiel avant de dialoguer avec l'alto ; Splanky et sa formidable partie d'orgue soutenue par une stimulante batterie shuffle ; Some of these days dans lequel Daniel Huck joue de manière fort détendue et nous gratifie d'un vocal scat cependant que brille Pat Giraud volubile et jubilant.
Un disque sensationnel ! Et d'une belle qualité sonore.
2
Ces interprétations ont été enregistrées au cours d'un concert donné à Baden, Suisse, le 3 juin 1967 par Buck Clayton et Ben Webster en compagnie du quartette du pianiste Henri Chaix, avec Alain Du Bois à la guitare, Isla Eckinger à la contrebasse et Romano Cavicchiolo. Entre parenthèses, on admirera la stabilité de l'entourage d'Henri Chaix, inchangé aujourd'hui. Cette rythmique assure une pulsation impérieuse, d'une souplesse étonnante, tout au long du disque, ce qui permet aux deux vedettes d'évoluer en toute sérénité.
Dès les premières mesures de The Hucklebuck vous plongez dans le swing le plus irrésistible. La trompette de Buck, à la sonorié riche et vibrante, débute sur un ton confidentiel et s'anime, devient exubérante et tranchante. Ben lui succède, son ténor sonnant de façon quelque peu caverneuse, d'abord paisible, prenant son temps, il gagne progressivement en violence. Après une belle intervention d'Henri Chaix, les deux souffleurs reprennent le thème pour conclure. On admire leur jeu chaleureux, sensible et lyrique dans Satin doll.
Pendant l'exposé du thème de Perdido Ben Webster fournit un contre-chant bien venu à Buck qui ensuite déploie un jeu mobile qui transmet son excitation au drummer. Le ténor amorce son discours de façon très laconique et le poursuit avec volubilité. Les trois titres suivants se déroulent sans Buck. My Romance est une ballade exécutée avec velouté et tendresse ; That’s all, joué par Ben d'un bout à l'autre, impressionne par son recueillement et In a mellotone bouillonne à mesure de son développement.
Buck revient et Ben abandonne la scène pour les deux titres suivants : Topsy, qui sera le sommet du disque, pris sur un bon tempo moyen et l want a little girl, en tempo lent. Dans les deux morceaux Buck joue d'abord avec sourdine, plein d'élégance, de délicatesse (et de puissance !), de sûreté (et d'humour !), puis Henri Chaix intervient avec bonheur et Buck reparaît, jouant ouvert avec une éloquence impressionnante. Le groupe se retrouve au complet dans les remarquables C jam blues, avec Buck particulièrement détendu et Ben évoluant du doux au méchant, et Sunday, allègrement enlevé, où le jeu incisif de Buck fait merveille et où Henri Chaix prend quatre chorus swinguant de plus en plus.
Un disque superbe ! A.V.
3
Le début de l'année 1995 est riche en découvertes de la plus grande importance. Une grotte préhistorique ornée de magnifiques fresques rupestres est trouvée en Ardèche. Dans le même temps 24 solos inédits (non répertoriés dans la discographie Laubich et Spencer) d'Art Tatum viennent d'être exhumés et publiés en CD. Si cet événement ne secoue peut-être pas le monde paléontologique, il constitue un choc dans celui des amateurs de piano-jazz. Tatum y joue en solo pour une station de radio californienne en 1940 et y improvise, comme d'habitude, de façon époustouflante.
Encore mieux il joue certains morceaux qu'il n'a jamais enregistrés en solo (l cried for you, l thought about you, l got rhythm, Dark eyes) ou qu'il n'enregistra en solo qu'à la fin de sa vie (Caravan, All the things you are, have you met Miss Jones, Stompin' at the Savoy, If l had you). Il n'est pas tout à fait exact de dire que tous ces enregistrements sont inconnus. En réalité, grâce à mon ami Aaron Bridgers, grand pianiste et éminent " Tatumologue ", je connaissais déjà l got rhythm, This can't be love (où interviennent un orchestre de studio et une chanteuse). If l had you et Elegie (dans ce morceau — incroyable mais vrai — Tatum se trompe, mais Tatum après lui avoir fait écouter son acétate : " Ne me parle plus jamais de ce truc ") respectivement répertoriés oui ! Aaron Bridgers s'était vertement entendu répondre par T 7030, T 8921, T 8940 et T 8941 dans le Laubich-Spencer.
A côté des spécialités habituelles de son répertoire où l'arrangement ne varie guère à chaque version on trouve des morceaux plus surprenants (The Shout, une de ses rares compositions) ou traités de façon inhabituelle (curieuse excursion atonale dans Where or when). Tatum joue de manière très libre et détendue, avec une fougue et un swing incroyables dans les tempos médium et rapides (stride implacable dans The Shout, main gauche fabuleuse dans Stompin' at thé Savoy, arrangement délirant du début de l got rhythm, swing forcené de la fin de If l had you, etc.). Enfin, la qualité technique de ces enregistrements est excellente, nous restituant particulièrement bien le magnifique SON tatumien.
Le temps passe et des trésors inconnus surgissent parfois du passé sans crier gare, nous laissant espérer de nouvelles découvertes futures. Cette longue série d'inédits de Tatum est une de ces merveilles inattendues et inestimables.
Louis Mazetier