27
Cet album, enregistré le 17 novembre1993, permet de retrouver avec plaisir Red Richards, artiste de grand talent, seul au piano. Le disque s'ouvre sur l wished on the moon interprété avec légèreté, tout en finesse et élégamment swingué. Ce morceau, comme l would do most anything for you et it’s over because we're through, comportequelques passages chantés, imprégnés de l'esprit Louis Armstrongmais, bien sûr, délivrés dans un registre fort différent. Dorothy, sur tempo lent, baigne dans une fraîcheur évoquant Willie The Lion Smith, là aussi dans un tout autre .
Drop me off in Harlem et Louisiana sont des plages pleines de richesse mélodique relevée par un jeu de main gauche actif et subtil et toujours au tempo de fer. Red Richards swingue délicatement My romance et enlève avec humour Idahoe en utilisant un stride aérien intermittent. Three little words constitue un des grands moments de l'album, un bouillonnement de verve où se conjuguent grâce et fermeté. La prise de son, convenable mais sèche, aurait pu être de meilleure qualité.
28
Sous prétexte qu'aujourd’hui il faudrait jouer du jamais entendu, de préférence en ennuyant et en divaguant, on assiste à des " renouvellements " touchant à l'absurde. Plutôt qu'un Orchestre National de Jazz s'efforçant de faire une musique inattendue qui, en réalité, manque d'imagination et de tempérament, nous préférons le Tuxedo Big Band qui produit une musique swinguante et belle en choisissant de recréer les œuvres d'un des plus talentueux grands orchestres de l'histoire du jazz, celui de Jimmie Lunceford.
Ce Tuxedo Big Band possède de multiples attraits et d'abord une rythmique d'une souplesse exceptionnelle autour d'un drummer de grande e : Jean-Luc Guiraud. Le jeu d'ensemble, excellent, se distingue par une décontraction, une joie de jouer et un enthousiasme vraiment étonnants. Du côté des solistes nous sommes également gâtés, même lorsqu'ils reprennent les interventions de leurs modèles, car ils savent swinguer. Signalons les trompettes Jacques Sallent, dans la lignée
Buck Clayton (Rhythm is our business, Dream of you, Knock me a kîss) et le puissant Dominique Rieux, dans le rôle de Paul Webster (For dancers oniy, Lunceford spécial), le trombone Jean-François Duprat (Yard dog mazurka, Lunceford spécial), Paul Chéron à l'alto (Rhythm is our business, Ain't she sweet, Blues in the night, Margie). Mais le soliste le plus impressionnant est le saxophoniste ténor Michel Pastre, tout imprégné de Lester Young, il brille dans chacune de ses interprétations, notamment dans Rhythm is our business, Whats your story Morning Glory, Annie Laurie, l'm alone with you, Lunceford spécial.
Voilà un orchestre comme nous n'en avions pas entendu depuis longtemps, qui ne recherche pas la puissance à tout prix, n'est pas obsédé par la précision, mais qui cultive avec bonheur la décontraction et le swing qui en découle. Il n'v a pas de plages faibles, les meilleures semblant être Four or five times. Yard dog mazurka, Aîn't she sweet. Annie Laurie. Blues in the night, l'm alone with you, Lunceford special. Il faut applaudir le travail exceptionnel réalisé par Paul Chéron qui a transcrit avec une minutieuse efficacité les arrangements originaux et a réuni, comme par magie, des musiciens jouant dans l'esprit voulu et qu'il dirige de main de maître.
36
François Rilhac (1960-1992) fut un des pianistes les plus prodigieusement doués que nous ayons connus ces dernières décennies : il avait énormément travaillé et pouvait faire pratiquement ce qu’il voulait avec le clavier d’un piano. Cette technique du plus haut niveau, il l’avait mise au service du jazz le plus pur, puisé aux meilleures sources : Fats, James P, Le Lion, Tatum, et Donald Lambert. Comme tous les grands créateurs, il transformait en jazz tout morceau qu'il interprétait : aucune différence dans la qualité du swing, du feeling et de l'improvisation entre des " classiques " comme Mule walk et des " morceaux populaires" comme Louise ou Can't heip lovin' that man, et aussi des compositions personnelles comme celle de la plage 13. Il était même capable de taire du stride sur " La Mère Michel ! " : " Ça c'est la classe, on l'a ou on l'a pas " ; comme disent les Slapscats.
Sa puissance dépassait celle de tous ses collègues, et ce n'était pas une puissance brutale, mécanique, automatique, mais une puissance maîtrisée, nuancée, modérée. Il est si facile de faire du piano mécanique... c'est tout autre chose que de retrouver la finesse et le swing des grands maîtres de Harlem ! Et François avait réussi, là ou bien d'autres ont échoué. Souvent sans même s'en rendre compte.
Vous avez dans ce disque tout l'art de François Rilhac (sauf le blues et le boogie), Chaque interprétation a son propre cachet, avec le plus souvent des touches de Tatum dans les introductions, quelques passages hors tempo, des chorus swingués en douceur, et puis le démarrage en force, et parfois un brusque retour au calme en fin de morceau. En pur stride. Oh Peter est impeccable : c'est du stride " hard ", dru, serré, à la Donald Lambert. High society est admirable : jamais vous n'avez entendu ce morceau entièrement joué au piano et si bien adapté à l'instrument tout en respectant parfaitement son caractère. Un seul morceau est trop contracté, nerveux, c'est le dernier ; mais tout le reste est de haute tenue.
Il ne sera pas nécessaire d'analyser plus en détail le contenu du disque puisque cela est fait dans toute la précision et la compétence voulues par Louis Mazetier sur l'abondant et documenté livret intérieur. La reproduction est très bonne le plus souvent. Deux ou trois plages sonnent de façon un peu étouffée, mais ce n'est pas grave. Il faut vivement féliciter Emmanuel Jacomy qui a réalisé ce disque, mais aussi Jean-Pierre Bertrand qui a eu la clairvoyance et la détermination de faire jouer François dans son club de la " Table d'Harmonie " pendant ses plus belles années. Bien entendu, personne ne peut se dispenser d'acquérir ce CD.
37
Dans sa collection " the chronological ", Classics a publié une intégale d’Ethel Waters couvrant en 7 CD sa premiere période (1921 – 1940 ) .Celle-ci a ensuite interrompu sa carrière de chanteuse qu’elle ne reprit qu’en 1947.
" Ethel Waters est une " soprano dramatique " au registre étonnamment étendu, au timbre d'une pureté impeccable. Sa diction est parfaite, sa justesse miraculeuse dans tous les registres, sa technique vocale exceptionnelle au point d'étonner les amateurs de chant ique, bien que sa voix, claire et limpide, reste typiquement noire par son timbre et son accent. En outre, la perfection de son débit pour décaler une phrase ou une syllabe, en prolonger une autre, donne à son chant une sorte de balancement à la fois souple et extrêmement intense qui est profondément " jazz ". Elle a au suprême degré le don d'émouvoir, par son vibrato sensible et frémissant, par l'expression qu'elle met dans les paroles, donnant ainsi à toutes ses interprétations une empreinte indélébile. C'est la plus grande de toutes les chanteuses de jazz, celle qui a inspiré, influencé à peu près toutes les autres. "
(Hugues Panassié - dictionnaire du jazz)
1
Bulletin du hcf – N°415 – 06/93 – Page 6
Grand Prix du Disque 1993
Ces interprétations.enregistrées les 16 et 17 juillet 1992 à Paris, font entendre Carrie Smith avec l'orchestre qui l'accompagnait dans sa tournée à cette époque : Al Pazant (tp), Ed Pazant (as), Benny Russell (ts), Bross Townsend (p), John Moody (b) et Bernard " Pretty " Purdie (d).
Dès le début de June night qui ouvre le disque, on est immédiatement saisi par l'extraordinaire timing de la voix débordante d'énergie de Carrie Smith qui, là, opère pourtant en douceur en dégageant un swing fantastique. On admire également (et on va l'admirer tout au long de l'album) la vigilance et la pertinence de l'accompagnement de Bross Townsend, cependant que Bernard Purdie fournit une robuste pulsation de batterie. De même, dans Under the bed et dans Make our love gone down, pris sur des tempos moyens dilatants, le timing du vocal produit un swing irrésistible. Et avec quelle puissance contenue elle interprète Singing the blues !
Days Like that again est une ballade mais pas question de roucoulades sur ce tempo lent. Le chant de Carrie, au vibrato émouvant, qui se déroule sur un fond orchestral bien venu, reste d'une tonicité surprenante. Dans le même registre, She's funny that way, hommage à Billie Holiday, déborde de lyrisme mais sans la moindre trace de mièvrerie et If you were mine est plein de tendresse ironique. Quant à Mood indigo, voilà une formidable version, interprétée avec une délicatesse, une subtilité, un feeling si profonds (avec Bross Townsend exactement à l'unisson) que ce standard se trouve totalement renouvelé . Répétons le : qui d'autre aurait pu accomplir cette performance ?
Enfin, Carrie Smith swingue le blues sur tempo moyen avec un allant dévastateur dans See see rider enchaîné sur Got my moJo working (encore un domaine où personne ne l'approche). Dans Crédit card blues, en tempo semi-lent, le ton confidentiel de son chant ne peut dissimuler le dynamisme qui l'anime constamment. Une fois encore Bross Townsend, très en évidence, lui offre une superbe partie de piano, tout comme dans Smoke stack lightning, d'ailleurs. Voilà un autre sommet, en tempo lent cette fois, avec des inflexions vous immergeant au cœur du blues : une interprétation extrêmement poignante, dramatique, à compter parmi les chefs d'œuvre de Carrie Smith.
Dans ce disque elle chante d'un bout à l'autre. La section mélodique s'acquitte honorablement de sa tâche dans les nombreux ensembles et ses membres se manifestent fort peu en solo, heureusement car ils ne brillent guère dans les très rares chorus qui leur sont accordés mais qui passent inaperçus, éclipsés par la e de la reine Carrie Smith.
Vous aurez deviné que ce CD doit obligatoirement figurer dans la discothèque de tout amateur de jazz avisé.
12
A 84 ans, Stéphane Grappelli est toujours un des plus grands jazzmen en activité, toutes catégories confondues : sa technique, son inspiration, son swing, son humour musical sont toujours au sommet ! Et il est si profondément habité par la musique qu'il se trouve à l'aise aussi bien avec le piano de McCoy Tyner qu'avec le banjo et le tuba du " Five o'clock ".
Mais il est vrai qu'on préfère l'entendre dans un contexte aussi purement jazz que possible : et quel orchestre pouvait aussi bien lui convenir que celui de Claude Bolling ? De fait cet assemblage a donné des résultats étonnants : ce n'est pas une juxtaposition de vedettes, Grappelli venant prendre quelques solos dans un disque de Bolling -il y a eu coopération, intégration, mariage pour tout dire. Tantôt il expose le thème avec l'orchestre, tantôt il improvise accompagné par la section rythmique, seule, ou sur un fond arrangé, tantôt il brode par-dessus l'orchestre comme une clarinette pourrait le faire, tantôt il dialogue avec un soliste du groupe. " Première classe. Messieurs ", c'est ce qu'il s'est écrié à la fin de l'enregistrement de Blue skies spontanément (on le voit sur la vidéo).
Tous les arrangements sont originaux, la plupart des morceaux ne font d'ailleurs pas partie du répertoire habituel de l'orchestre et on trouve deux compositions nouvelles : Stéphane et De partout et d'ailleurs. Stéphane a l'art d'exposer les thèmes en faisant bien ressortir leur caractère, tout en leur imprimant sa personnalité par de petites modifications aussi imprévues que judicieuses : quant à ses improvisations, elles fusent avec la plus grande facilité, l'aisance, l'audace, l'agilité de ce violon ne cessent de nous ravir.
Outre Claude lui-même au piano, d'autres bons solistes de l'orchestre apparaissent : Cari Schlosser, André Paquinet, Jean Etève, Pierre Schirrer, Philippe Portejoie, Michel Delakian, Claude Tissendier. Le texte de pochette donne toutes indications utiles à ce sujet. Particulièrement réussi est Minor swing, magistralement adapté par Bolling : les deux chorus de Django ont été orchestrés pour les trois sections, saxos, trompettes et trombones; et vous ne savez plus si vous entendez du Reinhardt, du Bolling, ou encore un 3" génie, d'autant plus qu'un passage typiquement ellingtonien apparaît vers la fin. Cute n'est pas comme d'habitude consacré à une exhibition de batterie, mais donne lieu à un dialogue violon-flûte très bien venu, les sonorités des deux instruments s'alliant agréablement. Des morceaux en tempo lent, le meilleur est De partout et d'ailleurs, Lush life et Moon mist, très recherchés en orchestration, nous ont moins plu. Très bonne qualité de l'enregistrement. Un disque de première classe.
23
Disons tout d'abord qu'Arthur Elgort a superbement filmé Illinois Jacquet. La qualité de la prise de vue et de l'image, constamment remarquable, nous change de ces cassettes au contenu fait de bric et de broc.
Jacquet raconte brièvement son parcours musical, de sa naissance à Broussard, Louisiane à aujourd'hui où il se trouve à la tête de son big band, avec évocation de ses passages dans les orchestres Lionel Hampton, JATP, Count Basie. Le film montre notre grand saxophoniste dans sa vie quotidienne. S'apprêtant dans sa loge veillé par Carole, son ange gardien, préparant son instrument, circulant au volant de sa voiture, déambulant avec des amis, achetant un chapeau, participant a un trio vocal en compagnie d'Arnett Cobb et Buddy Tate, voyageant en bus pendant une tournée d'été en France, visitant les ateliers Selmer, etc.. Tout ceci parfaitement filmé et monté. On peut apprécier le soin avec lequel il met en place son orchestre et le fait répéter. Il ne s'agit pas d'une mise en scène pour les besoins du film, cela se passe vraiment de cette façon... sauf que cela dure beaucoup plus longtemps.
Bien entendu, on voit jouer Illinois Jacquet abondamment, au début au Blue Note Jazz Club de New York, en 1988, ou il interprète son fameux Blues from Louisiana qui, invariablement fait un malheur, et à la fin, au festival de Bayonne en 1990, pour un Flying home, qui inévitablement déclenche l'enthousiasme. Entre-temps, il est en vedette à de nombreuses reprises et dans diverses circonstances (notamment pour un joyeux On the sunny side of the street et un empoignant Ghost of a chance).
Pour illustrer certains propos, viennent s'intercaler quelques documents photographiques et aussi cinématographiques pendant que l'orchestre joue Stomping at the Savoy (notamment des séquences avec d'extraordinaires danseurs). De nombreux musiciens viennent témoigner et parler de l'importance de Jacquet : Wild Bill Davis, Lionel Hampton, Jonah Jones, Milt Hinton, Sonny Rollins, Dizzy, Harry Edison, Les Paul, Clark Terry, etc. Il est souvent question du solo de Flying home.
Nous tenons là un superbe document, durant l heure 20 sur un géant du jazz (il ne s'agit aucunement de la mise sur pellicule d'un concert). Comme on a affaire à un personnage exubérant, au contact direct, et que la qualité de l'image est remarquable, ce résultat exceptionnel ne pouvait qu'être couronné par le prix hcf de la cassette vidéo. A.V.
Rappelons que cette cassette est disponible chez Evy Distribution, 22 Champromery, F.78720 Dampierre. Téléphone : 01 34.61.09.92.
37
Dans sa collection " the chronological ", Classics a publié une intégale d’Ethel Waters couvrant en 7 CD sa premiere période (1921 – 1940 ) .Celle-ci a ensuite interrompu sa carrière de chanteuse qu’elle ne reprit qu’en 1947.
" Ethel Waters est une " soprano dramatique " au registre étonnamment étendu, au timbre d'une pureté impeccable. Sa diction est parfaite, sa justesse miraculeuse dans tous les registres, sa technique vocale exceptionnelle au point d'étonner les amateurs de chant ique, bien que sa voix, claire et limpide, reste typiquement noire par son timbre et son accent. En outre, la perfection de son débit pour décaler une phrase ou une syllabe, en prolonger une autre, donne à son chant une sorte de balancement à la fois souple et extrêmement intense qui est profondément " jazz ". Elle a au suprême degré le don d'émouvoir, par son vibrato sensible et frémissant, par l'expression qu'elle met dans les paroles, donnant ainsi à toutes ses interprétations une empreinte indélébile. C'est la plus grande de toutes les chanteuses de jazz, celle qui a inspiré, influencé à peu près toutes les autres. "
(Hugues Panassié - dictionnaire du jazz)