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Cet album a été enregistré à La Nouvelle-Orléans lors de plusieurs séances, en février, avril et mai 1999, par un trio poursuivant une passionnante tradition. Le superbe drummer Trevor Richards, disciple de Zutty (cf. Bulletin 460), est entouré d'un remarquable pianiste, David Boeddinghaus et d'un surprenant jeune musicien créole (né en 1969) Evan Christopher, une découverte !
La clarinette de ce dernier possède une sonorité chaude et fluide, un accent chantant et un swing pétillant sur tempo moyen, rappelant parfois Albert Nicholas ; Alice blue gown, I'm so in love with you. Do you ever think of me, Make believe, When. Sur tempo lent on apprécie son vibrato émouvant et sa sonorité profonde (A lull at dawn), dommage qu'alors il soit par moments un peu déclamatoire et statique (Just another dream). Mais l'étonnement ne s'arrête pas là.
Dans Back in your own backyard, Evan Christopher utilise le saxo alto avec, là aussi une sonorité dorée et ample, un jeu jubilant à la Benny Carter vraiment splendide. Et dans If dreams come true il adopte le ténor pour se révéler encore extra, volumineux, dans un plein de fougue et de swing (même s'il n'a pas tout à fait l'aisance dont il fait preuve à l'alto). Son épanouissement est facilité par la présence à ses côtés de deux partenaires idéaux .
David Boeddinghaus (né en 1955) est également une révélation, son jeu de piano, en solo comme à l'accompagnement montre une solidité et une pertinence réjouissantes. C'est le type de pianiste ayant puisé aux meilleures sources (Morton, Fats, Hines...) dont le purement jazz présente un confort extrême, tel était le cas du regretté Henri Chaix ou de Butch Thompson, le pianiste du précédent CD du trio Trevor Richards (cf. Bulletin 489).
Enfin Trevor Richards fournit une partie de batterie d'une efficacité rare, surtout de nos jours. Sa pulsation sur la grosse caisse permet de se passer de contrebasse et il soutient ses partenaires avec une diversité et un choix de moyens captivants. Exemple : la façon dont il accompagne les solos de piano dans Vieux Carré et Do you ever think of me. Les quelques passages qu'il s'accorde en solo restent toujours superbement cohérents et mélodiques.
Un disque prometteur d'un beau trio que l'on aimerait bien entendre en direct.
A.V.
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A Munich David Paquette avaitété enregistré le 22 mai 1997 en solo absolu, ce qui permetd'apprécier encore mieux la plénitude et le dynamisme de son .. Sa voix embrumée, fort prenante, ressemble de façon frappante à celle de Red Richards.Même sur les tempos très lents il tient constamment l'auditeur en baleine, là où ses confrères n'hésitent pas à l'anesthésier.
Les morceaux avec vocal laissent toujours une large place aux solos de piano. On reste admiratif devant l'étonnante variété de son jeu, parfois dans une même interprétation (Exactly like you), et son amplitude, écoutez ronfler le piano dans Make me a pallet on the floor. On le trouve tour à tour recueilli (That old feeling), débordant d'émotion (Out in thé cold again, Home fire), exubérant (I want a little girl), jouant le blues avec une verve et un jaillissement renversants (Blues for Roosevelt, dédié à son mentor Roosevelt Sykes).
Quatre plages ne sont pas chantées : Get it over with, un boogie vigoureusement enlevé en évitant tout systématisme, At a Georgia camp meeting, un ragtime articulé avec humour, When you wish upon a star, plein de tendresse garnérienne, Song of the Islands, dans lequel il joue en plus du célesta. Insistons bien, Paquette s'exprime dans un personnel et si l'on évoque parfois,Garner, Hines ou Eubie Blake, c'est pour l'esprit et non la lettre.
Tout le recueil porte la marque de la grande e.
Ce CD est distribué par Musik Direkt Regler - Remnastried 8 , 87675 Stötten -Allemagne.
20
Ce remarquable grand orchestre, formé l'an dernier, rassemble d'excellents musiciens sous la houlette de Marc Richard. Ces enregistrements du 8 janvier 2000 présentent un Paris Swing Orchestra sonnant de manière réjouissante sur un répertoire heureusement varié et constamment attrayant. Les arrangements de facture séduisante ont été relevés ou signés par Marc Richard et Jean-Pierre Dumontier. Les sections soufflent avec précision et chaleur, la rythmique tourne rond et les solistes montrent leur e, tout est donc réuni pour donner un album de qualité.
Les quatre membre de Formule 4 figurent dans l'orchestre qui profite de l'aubaine pour utiliser les performances du trio vocal (Christophe Davot, Didier Desbois, Gérard Siffert) dans plusieurs titres, à commencer par le premier : I got rhythm. Après l'exposé, Michel Bonnet à la trompette puis Michel Pastre au ténor prennent chacun deux chorus débordant de flamme, le trio vocal intervient puis fournit un fond sonore aux deux chorus scat de Patrick Bacqueville. Le morceau se conclut sur un chorus de clarinette de Marc Richard suivi d'un chorus d'ensemble, tout cela solidement swingué. On retrouve le trio vocal toujours fignolé et élégant dans Rockin' chair, My blue heaven, Nagasaki (où il est encadré par de brillantes interventions de Marc Richard à l'alto, Michel Pastre et d'ensembles robustes), Solitude (aux riches ensembles pleins de feeling), The song is ended (tout indiqué pour clore la série).
Dans cet album homogène, signalons Sent for you yesterday dans lequel le pétillant alto de Marc Richard répond aux ensembles, Jacques Schneck tient le rôle de Basic, Bacqueville celui de Jimmy Rushing (avec une ressemblance physique discrète), Michel Bonnet calque son solo sur celui d'Harry Edison. Pierre-Louis Cas apparaît au ténor. If l could be with you est également bien chanté par Patrick Bacqueville qui prend un magnifique solo de trombone, à noter aussi celui de Marc Richard (alto) et de Michel Pastre.
Michel Bonnet intervient brillamment à la Edison, dans Big John spécial. Entre les ensembles joyeusement swingués de Christopher Columbus s'intercalent les solistes Didier Desbois, jubilant à l'alto, Marcel Bornstein à la trompette, Jacques Schneck et Gilles Chevaucherie. Dans Peckin', allègrement enlevé aussi, on entend Pierre-Louis Cas, Christophe Davot dont la guitare fait monter la température de plus en plus, Bacqueville pour un vocal vociféré avec répliques du chœur de ses partenaires, Marc Richard toujours plein d'envolée à l'alto.
Ce premier disque est une réussite pour ce grand orchestre qui s'impose d'emblée parmi les meilleurs, espérons qu'on le verra fonctionner régulièrement.
15
Le pianiste Johnny Varro possède un plaisant de la lignée Teddy Wilson. Dans ces enregistrements de décembre 1997 il dirige le " Swing 7 ", qui réunit quelques musiciens de l'écurie Arbors, et nous vaut un album agréable de bout en bout, sans plage insignifiante. Il s'ouvre avec Its a wonderfull world, joyeusement enlevé, qui évoque la musique des Savoy Sultans de Panama Francis (à un niveau toutefois inférieur).
Après un ensemble pertinemment arrangé et exécuté, tous les participants prennent un solo : Ken Peplowski (as), Randy Sandke (tp), Tommy Newsom (ts), Johnny Varro(p), Dan Barrett (tb), Frank Tate (b) et Joe Ascione (dr). La rythmique apporte un soutien efficace à cette brochette d'excellents musiciens où seul le ténor, à la sonorité étranglée et sourde, est peu inspiré. Johnny Varro a signé tous les arrangements de l'album dans un élégant et alerte. On devine qu'il aime le travail fignolé et qu'il doit admirer la production de groupes tels que le John Kirby Sextet.
D'ailleurs n'a-t-il pas inclus trois titres illustrés par ce fameux petit orchestre et ses interprétations, Ida sweet as apple cider, Humoresque et Front and center, constituent sans doute le meilleur du recueil si on y ajoute Pom pom, le sommet. Hormis la plupart des solos de ces morceaux, d'autres méritent d'être cités, ceux de Johnny Varro remarquable dans Truckin' et The Chase ; Randy Sandke dans Afterglow et Moten swing ; Dan Barrett (qui n'atteint pas là son maximum) dans Just squeeze me et Brandy 'n beer. Ken Peplowski alterne clarinette et alto sans être transcendant.
16
L'orchestre Paris Washboard présente déjà une estimable discographie, commencée en 1988 avec le LP " When we're smiling " (chroniqué dans le Bulletin 374). Le présent album a été enregistré le 10 et 11 mars 1999 par Daniel Barda (trombone), Alain Marquet (clarinette), Louis Mazetier (piano) et Gérard Bagot (wasboard), un personnel resté fixe depuis les débuts, hormis le dernier nommé qui remplaça Gilbert Leroux dès le deuxième disque. Jusque-là le quartette avait adopté les œuvres des petits groupes des années 20 et 30, cette fois, il se tourne vers le répertoire de Duke Ellington. Une gageure. En fait, le résultat se révèle aussi convaincant que passionnant car, si l'instrumentation est insolite nous sommes en présence de musiciens de e, exigeants et sérieux.
Daniel Barda sonne impeccablement, de façon expressive et posée, il manie la sourdine avec sûreté et bon goût. On notera entre autres, ses solos jubilants de All God's chillun, lt don't mean a thing, Rose of the Rio Grande, Ring dem bells. Lui et Alain Marquet savent remarquablement conjuguer et ajuster le jeu de leurs instruments. Comme, par exemple, dans All God's chillun, Drop me off in Harlem, Solitude, Rosé of the Rio Grande. Alain Marquet possède une plaisante sonorité et prend d'intéressants solos, ainsi dans The Mooche, Ring dem bells ou I got it bad (morceau auquel ne participe pas Barda).
Le piano de Louis Mazetier demeure, évidemment, admirable de bout en bout. Il apporte à ses collègues un soutien d'une plénitude parfaite qui leur permet d'évoluer dans des conditions idéales. Ses solos sont invariablement superbes, plein de fraîcheur et d'imprévu, il utilise souvent un stride irrésistible (Drop me off in Harlem, Caravan, Ring dem bells) qu'il délaisse parfois tout en restant captivant (Solitude, Mood indigo). Deux titres lui sont réservés, Dancers in love et Squaty roo, ils permettent d'apprécier sa vivacité et son humour. Le répertoire ellingtonien offre moins d'occasions à Gérard Bagot qu'habituellement de donner libre cours à son exubérance, mais il assure toujours un soutien efficace et pertinent avec ça et là quelques interventions percutantes ( It don't mean a thing, Rose of the Rio Grande, Ring dem bells).
Voilà donc un excellent disque !
A.V.
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Ce monument est l'œuvre de vrais connaisseurs et amateurs ellingtoniens : Claude Carrière, Noël Hervé, Philippe Baudoin, Christian Bonnet, aidés d'un maître en reproduction phonographique, Christophe Hénault. Nous avons ici des interprétations récoltées pendant la période de 1926 à 1948, la plupart provenant des enregistrements du commerce mais aussi de concerts ou soirées (Fargo, Carnegie Hall...). Ce n'est ni une chronologie, ni une intégrale, on n'est pas invité à suivre une " évolution " mais à profiter de la beauté de la musique de Duke Ellington, de toute sa musique et peu importe que ce soit celle créée en 1928, 1938 ou 1948. Chaque disque est axé sur un thème : jungle, blues, ladies, ballads, soloists, swing, dance... c'est une commodité de présentation car il est bien évident que la plupart de ces interprétations swinguent, sur fond de blues, qu'elles invitent à la danse, que des solistes s'y expriment, etc. S'il n'est pas possible ici d'énumérer, encore moins de commenter les 260 morceaux du coffret, quelques indications sur le contenu de chaque CD suffiront à vous donner une idée de ce qui vous attend.
Volume l " Ballads "
- Inconnu dans les années 20, ce type de solos instrumentaux, sur tempo lent, apparaît à la fin des années 30 et nous vaut des séries de chefs-d'œuvre. Johnny Hodges, Ben Webster, Cootie Williams, Rex Stewart, Lawrence Brown, Barney Bigard, Taft Jordan, Harry Carney, Duke lui-même sont successivement à l'honneur pour déployer tout leur talent de charmeurs.Volume 2 " Blues "
- Things ain't what they used to be, Across the track blues, C jam blues, Main stem, Thé blues with a feeling, Bundie of blues, Blue feeling, Jeep's blues, Memphis blues, Royal Garden blues, etc. Tous ces blues en tempo lent, médium ou rapide illustrent le génie d'Ellington et de ses musiciens pour créer sur ce fondement sans rien perdre de leurs personnalités.Volume 3 " Composer "
— La majeure partie des morceaux figurant dans le coffret sont des compositions d'Ellington. Alors, quelle spécificité a ce disque ? Eh bien, Claude Carrière a voulu rassembler ici non les grands succès comme Solitude, Sophisticated lady ou C Jam blues, mais des morceaux moins célèbres et plus complexes comme Sepia panorama, Tootin' through the roof, Creole rapsody, Daybreak express, Showboat shuffle, Braggin' in brass, Blue Serge, Saddest tale, Slippery horn et aussi bien sûr Concerto for Cootie, Black Brown and Beige, Ko-ko.Volume 4 " Dance "
— Ce sont les morceaux favorables à la danse, liés à la danse, éventuellement exotiques : Conga brava, Moonlight fiesta (a Porto-Rican chaos), Snake it dance, Maori (a Samoan dance), That lindy hop, The skrontch, The lambeth walk, Moon over Cuba, Three dances of the Black Brown and Beige, Truckin'...Volume 5 " Friends "
- Celui-ci est plus inégal compte tenu de la nature des " invités " en question : très bien si c'est Ethel Waters, Django Reinhardt ou Louis Armstrong, beaucoup moins intéressant quand il s'agit de Bing Crosby, Mae West, les Mills Brothers ou Woody Hennan... A noter qu'au nombre des invités figurent aussi des arrangeurs : Benny Carter, Mary Lou Williams, Buck Clayton (Jazz cocktail, Blue skies, Hollywood Hangover).Volume 6 " Jungle "
- Celui-ci justifie vraiment un choix thématique, on y trouve les iques de ce genre ellingtonien bien particulier : Black and tan fantasy, The Mooche, Jungle jamboree, Jungle blues, East St. Louis toodle-oo, Echoes of the jungle, Air conditioned jungle, Dooji wooji...Volume 7 " Ladies "
- Ce sont les morceaux composés en l'honneur d'une dame, ou qui se rapportent à " la femme " plus généralement : Sophisticated lady, Dinah Lou, The gal from Joe's, Lady in blues, Country gal, Wann valley, John Hardy's wife, Clémentine, Lily Belle, Thé tattoed bride, Chlo-e...Volume 8 " New York "
— Les titres se rapportant à Harlem sont nombreux ici (Air shaft, River quiver, Flat blues, Drop me off at, Speaks, Harmony in, The boys from) autres allusions à la ville : Uptown downbeat, Wall Street wail, Sugar Hill shim sham, Cotton club stomp, Carnegie blues, Manhattan murals...Volume 9 " Pianist "
- Ce sont des solos de piano du Duke ou des interprétations dans lesquels sa partie est abondante : Black beauty, Swampy river, Sophisticated lady, Mr. J.B. blues, Jumpin' room only, Dancers in love, New York City blues, The clothed wornan... Là on peut constater un réel " progrès ", Duke affirme sa personnalité de pianiste graduellement, de 1928 où son reste relativement anonyme dans la lignée James P./Le Lion aux années 30 et surtout 40 où son toucher, son jeu de main gauche, ses développements mélodiques et rythmiques deviennent ceux d'une INDIVIDUALITE du piano.Volume 10 " Portraits "
- Voici les portraits musicaux de Florence Mills, Freddy Jenkins, Billy Strayhorn, Willie Smith Le Lion, Bill Robinson, Jennie Camey, Bubber Miley, Bert Williams, Orson Wells et quelques autres.Volume 11 " Soloists "
- Tous ces solistes, on les entend bien sûr dans la plupart des autres disques, ici ce sont les enregistrements qui les mettent plus spécialement en valeur : Doin' the voom voom pour Bubber Miley, Frustration pour Harry Camey, Clarinet Lainent pour Barney Bigard, The mood to be wooed pour Johnny Hodges, Echoes of Harlem pour Cootie Williams, Rose of the Rio Grande pour Lawrence Brown, Pitter panther patter pour Jimmy Blanton, Stardust pour Ben Webster, Take the A train pour Ray Nance, The suburbanite pour Al Sears, Tip toe topic pour Oscar Pettiford...Volume 12 " Swing "
- Ce sont les morceaux " tout pour le swing " pourrait-on dire : Cotton tail, It don't mean a thing, Ring dem bells, Stompy Jones, In a jam, Slap happy, Squaty roo, Rockin' in rhythm, Stomp look and listen, Chatter box, Ridin' on a blue note, etc : c'est du gratin !Volume 13 " Vocal "
- Là on baisse sérieusement de niveau : si Adélaïde Hall, lvie Andersen (3 plages), Ray Nance et dans une moindre mesure Cootie Williams et Duke lui-même (l've to be a rug cutter de mars 1937) valent le déplacement, on ne peut en dire autant de Al Hibbler, Herb Jeffries, Betty Roche, Joya Sherrill, Marion Cox ou Dolores Parker : le genre doucereux et même grandiloquent s'impose dans les années 40. Heureusement, ces vocalistes ne sont pas toujours encombrants.La reproduction a été particulièrement soignée : volume, précision, rondeur. La contrebasse notamment est bien en valeur, comme on l'enregistrait à ces époques avec son vrai son, et quels bassistes ont défilé alors : Wellman Braud, Billy Taylor, Jimmy Blanton, Junior Raglin, Oscar Pettiford pour ne citer que les principaux titulaires de la période Sonny Greer, lui inamovible à son poste (un grand batteur que l'homme aux oreilles en feuille de salade n'a pas réussi à entendre !). Chaque disque est accompagné d'un texte de présentation de Claude Carrière aussi pertinent que documenté : pas de bla-bla, pas de récupération, que du solide, et dans le sujet. On n'est pas non plus noyé sous une discographie aussi touffue qu'inutile dans le cas présent. L'indication des dates d'enregistrements et des solistes suffit ; on aurait seulement pu ajouter la mention des bassistes successifs...
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PRIX MUSICIEN FRANÇAIS 1999
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![]() PRIX PROMOTION EFFICACE 1999 Coffret DUKE ELLINGTON " Anniversary |
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Jorg Köran, qui enregistre tous les grands pianistes de jazz qui passent à sa portée, n'a pas manqué d'aller à Oberbayern trouver Bernd Lhotzky pour l'ajouter à sa collection déjà impressionnante. En lui adjoignant pour la circonstance Ralph Sutton, puisque Bernd a atteint une e qui le place au niveau des plus swinguants pianistes d'aujourd'hui... C'est ce qui frappe à la première audition du disque : pas de différence de qualité entre les deux pianistes (dont l'un pourrait être le grand-père de l'autre !), tant au point de vue beauté du toucher, stabilité du tempo, invention, tout au plus peut-on remarquer une meilleure attaque, une main gauche plus souple chez Sutton... mais Bernd le talonne de près.
En général, le thème est exposé par les deux musiciens ensemble, puis chacun tour à tour prend la partie principale, l'autre accompagnant ; inutile de préciser dans quel ordre, l'enregistrement stéréo les distinguant nettement, chacun sur un canal. Interprétations les plus réussies : le stride impétueux de Jeepers Creepers et Indiana et sur tempo plus calme Porter's love song et Keepin' out of mischief now.
Bernd joue seul Lover, Drop me off in Harlem et Lush life ; Ralph joue en solo In the dark (une sorte de In a mist), Clothes line ballet et Love lies, ce dernier morceau étant la perle du recueil. Un peu ternes car manquant de vigueur : Until the real things corne along, Takin' a chance on love... Mais dans l'ensemble quelle belle musique !
Et quelle belle invention que le piano stride quand il est illustré par de tels interprètes !
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Voilà le premier disque édité sous le nom de Boss Quéraud : il était temps ! Car c'est un de nos meilleurs jazzmen, qui a joué avec nombre de formations, régulières ou éphémères, toujours apprécié tant de ses collègues que de ses auditeurs. Mais, il est souvent trop effacé.
Or, il mérite d'être mis au premier plan, car quand il est en forme et en bonne compagnie (comme c'est le cas ici) il se présente à l'égal des plus grands trompettistes toutes catégories confondues. Dans son interview du Bulletin 373, il déclarait : " Nous avons chacun notre personnalité et si nous avons subi davantage l'influence de tel ou tel grand musicien, nous ne négligeons pas pour autant tout ce que d'autres peuvent nous apporter. En fait, chacun suit sa pente naturelle et construit son propre jeu à partir de références qui peuvent varier ". C'est bien ce que l'on constate chez lui et au plus haut degré. On sait que Red Allen ou Bunny Berigan comptent parmi ses favoris, mais ses solos ne sont jamais une collection de phrases prises chez l'un ou l'autre.C’est du Boss premier cru.
Deux interprétations retiennent particulièrement l'attention : You're driving me crazy et Once upon a time, où Boss se promène dans les hauteurs avec une totale aisance, emboîtant les phrases les plus audacieuses, sans répétition ni cliché d'aucune sorte, dans une impeccable logique ; et quelle belle sonorité, pleine, ronde, d'une extrême sensibilité ! Un autre qui se fait remarquer dans You're driving me crazy, c'est Patrick Bacqueville dont les trois chorus de trombone sont aussi du pur jazz de grande cuvée.
Mais commençons par le commencement : il s'agit d'extraits de concerts, du Hot Club de Rouen, de ces dernières années. Les deux premiers titres sont par une formation de type New Orléans tendance Revival, dirigée par le clarinettiste Tommy Sancton disciple de George Lewis. La formation comprend Stéphane Roger à la batterie, qui accompagne par de sobres roulements à la caisse claire, Enzo Mucci au banjo, Yves Buffetrille à la basse, Freddy Legendre qui tient ici le trombone avec une vigueur très Kid Ory. Boss mène fort bien les improvisations collectives, et joue bouché avec beaucoup de cœur dans Girl of my dreams. Ces interprétations sont les plus récentes (concert du 23 mars 1998).
Beale Street blues (12 décembre 1994) avec le trio Milanta commence en douceur par l'exposé du thème à la trompette bouchée, puis bon solo de Patrick Bacqueville, solo très concis de Philippe Milanta et Boss finit en beauté montant en puissance et en flamme ; à la batterie Michel Denis, à la basse (épatant) Bruno Rousselet.
Dooji wooji : ce sont les quatre souffleurs de " Trumpet Spectacular " (7 octobre 1995) . Sur ce blues semi-lent au rythme shuffle, chacun intervient dans cet ordre : Irakli, Peter Ecklund, Alain Bouchet, Boss Quéraud. La tension monte de plus en plus, et c'est notre trompettiste qui emporte la palme. La section rythmique comprenait Michel Denis, Daniel Amelot (b), Pierre Calligaris (p).
Les quatre morceaux suivants (30 septembre 1996) sont par les " Swing Brothers ", une formation quelque peu éphémère qui bénéficia du superbe drumming de Georges Bernasconi . Quelle souplesse, quelle finesse, quel swing chez ce grand batteur qui nous disait : " c'est Milton Buckner qui m'a formé. D'un instrument qui paraît destiné à faire du bruit, il m'a appris à en faire de la musique " : c'est exactement ça ! II propulse l'orchestre avec un dynamisme parfaitement maîtrisé qui met tout le monde à l'aise. Il faut voir, ou plutôt entendre, comme il fait sonner ses cymbales, notamment dans You're driving me crazy et I would do anything for you où il est particulièrement bien enregistré. Outre Boss, au sommet de son inspiration, les solistes sont Jean-Loup Muller au piano, Patrick Bacqueville au trombone (You're driving me crazy, I would do anything for you), Christophe Davot à la guitare (You're driving me crazy), Jacques Montebruno à l'alto (I would do, Always).
On termine en apothéose avec un magnifique Once upon a time (10 octobre 1944, Swing Feeling), sur lequel plane l'ombre de Louis Armstrong. C'est peut-être beaucoup s'avancer ,mais je ne pense pas que Benny Carter ait fait mieux, le 10 octobre 1933, dans son interprétation de ce morceau avec les Chocolate Dandies... Ce morceau offre également un bon solo de ténor de Philippe Audibert.
J.P.
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La formation du Tuxedo Big Band, dont la stabilité assure la qualité, est identique à celle du précédent CD . Seul changement, Pierre-Luc Puig a remplacé Serge Oustiakine à la contrebasse il y a deux ans. Après avoir ressuscité l'orchestre Jimmie Lunceford, le Tuxedo fait revivre le monde sonore de Chick Webb et il nous émerveille à nouveau. Le jazz pourrait devenir ainsi une " musique de répertoire " écrit André Clergeat dans le livret du CD. Irakli ne dit-il pas qu'il interprète Louis Armstrong comme on joue du Mozart ?
Les arrangements immortalisés par Chick Webb et que reprend le Tuxedo sont conservés mais on est loin d'une reproduction robotisée. Quant aux solistes, ils se gardent d'abandonner leur personnalité, tout en respectant l'esprit des musiciens de Chick Webb.C’est ce que réussit Jean-François Duprat dans son solo de trombone de 'Tain't what you do , quand on le compare à celui de Sandy Williams. Paul Chéron, aussi à l'aise sur l'alto que sur la clarinette, possède une personnalité d'exception. Lui-même à la clarinette et Guy Robert à la flûte ont si bien restitué la couleur sonore de I ain't got nobody, joué en quintette, et l'enregistrement est d'une telle qualité, que le résultat est supérieur à la version de Chick Webb. Big John spécial, arrangement d'Horace Henderson, présente des différences dans l'ordre des solistes avec le disque que Chick Webb enregistra sur un tempo plus modéré.et il est plus captivant que celui de Fletcher en 1934. Dans Clap hands, il n'y a pas de solo de trombone mais on entend Sallent et Laudet à la trompette et c'est aussi magnifique.
On a rarement entendu une section rythmique si valeureuse, mieux enregistrée que celle de Chick Webb. Jean-Luc Guiraud en est la pièce maîtresse. L'élasticité de son jeu à la batterie, sa frappe claire et cinglante affirment un tempo d'une netteté implacable, et il assure fermement, mais sans rudesse, les breaks qui appuient les ensembles. Avec lui, Liza et Harlem Congo, les deux célèbres réussites où Chick Webb était le plus présent, parviennent à une plénitude inouïe. Il faudrait citer tous les solistes : ils sont indiqués dans le livret.
Une pierre précieuse est ajoutée à l'édifice de ce superbe orchestre : la chanteuse Mariannick Saint-Céran. Pour tenir le rôle d'Ella Fitzgerald dont elle a assimilé l'esprit sans chercher à en décalquer le timbre vocal elle est infaillible. On retrouve dans Just a simple melody la fraîcheur d'Ella en 1937, quand elle avait vingt ans. Très dynamique, son chant est ancré solidement sur le swing de l'orchestre dans 'Tain't what you do. Elle est émouvante dans l got it bad qu'Ella enregistra sans Chick Webb et elle déploie sa verve dans Rock it for me où la clarté de sa diction se conjugue à son aisance rythmique. Et elle possède une étonnante maîtrise du scat (Undecided). Mieux que d'autres chanteuses , bien en cour grâce à la publicité des médias, Mariannick Saint-Céran ravive le souvenir de la " First Lady of Jazz " à une grande époque de sa carrière.
Après les avoir enrichis, Paul Chéron nous restitue, avec la densité de swing caractérisant son orchestre, les trésors hérités de Chick Webb et d'Ella.